Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant l’apparition de l’Homère de Villoison, l’allemand qui avait soutenu avec force l’opinion de la non existence d’Homère, Wolff, avait réuni toutes les recherches des anciens critiques, des lexicographes et des sophistes, et les découvertes des éditeurs modernes ; il avait recueilli en outre tous les vers d’Homère égarés et cités dans les œuvres de Plutarque, Platon et Aristote ; il avait réduit toutes ces compilations à un résumé intelligent et lucide, l’avait fait précéder des fameux Prolégomènes, devenus le champ clos des deux écoles, et avait ainsi publié l’Iliade en deux volumes in-8o en 1794. L’édition de Villoison révéla à Wolff des matériaux et des renseignemens qu’il ne connaissait pas encore. Il se remit à l’œuvre, et en 1804 parut une édition dernière et définitive, chef-d’œuvre de patience et de savantes investigations.

Au commencement du 17e siècle, Dusouhait donna une nouvelle traduction en prose de l’Iliade, et Boitel ou Boitet, une de l’Odyssée. Hugues Salel et Amadys Jamin avaient déjà publié leur traduction en vers de l’Iliade, tandis que Salomon Certon s’essayait de même à reproduire l’Odyssée en vers français.

On sait que parmi les traductions modernes, quatre surtout sont remarquables à des titres différens : celles de MMe  Dacier, de Gin, de Bitaubé et de Dugas-Montbel : ce dernier a consacré sa vie à se faire un monument des poésies homériques. Il est mort au milieu de sa gloire, nous laissant un travail complet sur les œuvres d’Homère, après avoir éclairé, par une critique intelligente, les replis obscurs des scolies et les commentaires.

Nous ne devons pas omettre dans le nombre des auteurs qui ont travaillé à résoudre ce grand problème de l’existence d’Homère, l’auteur du Voyage de la Troade. Outre cet ouvrage destiné à servir de commentaire topographique à l’Iliade, M. Le Chevalier a publié un ouvrage, ou pour mieux dire un système tout entier sur Homère. Ce livre est intitulé Ulysse-Homère ou du véritable auteur de l’Iliade et de l’Odyssée, par Constantin Koliades, professeur dans l’université Ionienne (1829, in-folo). Une grande érudition, l’étude des lieux où se sont passées la plupart des scènes de l’Iliade et de l’Odyssée, les éloges continuels qui sont donnés à Ulysse et son influence qui semblent constamment dominer et dans le camp des Grecs et dans les chants du poëte, ont amené l’auteur à cette opinion que l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée était certainement Ulysse lui-même. Voici ses conclusions :

« Ulysse ne serait-il pas l’homme étonnant qui a fait dans l’Iliade le tableau de la longue guerre où il a combattu, et dans l’Odyssée l’intéressant journal de ses aventures après cette guerre.

» Ne serait-ce pas ce génie sublime auquel nous devons le dénombrement de toutes les nations de la Grèce et de l’Asie, de ce chef-d’œuvre d’histoire et de géographie, de ce code immortel et sacré dont les Grecs invoquaient l’autorité pour fixer les limites de leur territoire. »

Quelque parti qu’on prenne sur cette découverte, appuyée par une science incontestable, on ne peut refuser à l’ouvrage de M. Le Chevalier le mérite d’un excellent commentaire, toujours aidé d’une grande lueur géographique. C’est une tentative de plus qui augmente encore la gloire d’Homère. Les traductions en langues étrangères sont d’ailleurs plus nombreuses encore que les commentaires.

Chez les Italiens, on estime surtout la traduction de Salvini, qui a traduit tout ce qui nous restait d’Homère ; celles de Cerutti, de Cesarotti et de Monti, qui n’ont traduit que l’Iliade.

Chez les Anglais, Chapmann et Hobbes ont pâli devant Pope, qui lui-même s’est trouvé effacé par l’exactitude, la couleur simple et naturelle de Cowper.

Les Allemands font beaucoup de cas des versions de Bodmer, du comte de Stalberg et de Voss. Tous les trois ont traduit Homère en vers hexamètres et mérité les éloges des critiques les plus sévères.

La littérature espagnole ne nous offre qu’une traduction justement estimée : c’est celle de Saverio Malo, employé à la bibliothèque de Madrid.

Quant à la Batrachomyomachie, que nous donnons ici, son auteur est aussi contesté que l’existence d’Homère lui-même. La foi robuste de quelques critiques n’a pu être ébranlée. Pour éviter la peine de trouver un auteur à cette parodie ingénieuse des grands combats, ils l’ont attribuée à Homère. D’autres, comme Suidas, donnent la paternité de la Batrachomyomachie à Pigrès, frère de la reine Artémise, ainsi que le Margitès, quoique Aristote ait dit positivement qu’il appartient à Homère. Enfin il en est qui, sans préciser l’auteur de la Batrachomyomachie, en expliquent la naissance par l’habitude qu’avaient prise quelques auteurs postérieurs à Homère de parodier sa poésie en appliquant chacun de ses vers à des sujets différens. Diogène de Laerte (VI, 85) cite quelques vers de Cratès où il travestit ainsi un discours d’Ulysse, et nous pourrions y retrouver l’origine de la Batrachomyomachie, série de vers dans laquelle les passions, les dangers et les luttes des Grecs et des Troyens se trouvent parodiés et attribués à des rats et à des grenouilles.

Ernest Falconnet.