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influence, en former un tout et connaître ainsi tout à la fois la belle unité qui est particulière à la civilisation grecque et les causes qui ont rendu sa littérature multiple et dominée par des idées souvent mobiles, appartenant à un ordre différent.

Une autre cause importante et qui réagit sur les productions des poëtes grecs se rencontre dans le caractère successif de leur constitution ; nous devons la signaler, parce qu’elle explique plusieurs œuvres remarquables et fait comprendre les temps antiques.

La différence des peuples primitifs repose surtout dans l’organisation des castes et des rangs. On constate leur souche commune par le principe qui domine leur organisation ; c’est une pierre de l’ancien édifice des sociétés avant leur dispersion retrouvée parmi les ruines et qui fait l’angle apparent d’une société plus récente. C’est ainsi que les Égyptiens étaient surtout un peuple de prêtres, non qu’on y trouvât point d’autres castes reconnaissables par leur isolement, mais chez eux tout s’humiliait devant le sacerdoce comme principe dominateur : l’esprit et l’influence des prêtres étaient prééminens. Dépositaires des leçons et de la sagesse des anciens, ils se les transmettaient et acquéraient ainsi une juste puissance dans l’état. Les livres sacrés des Indiens nous montrent le même système, la sagesse et la morale confiées aux brahmines ; les Juifs nous offrent le spectacle d’une théocratie complète. Dans notre Occident, ce caractère sacerdotal anime toute l’organisation sociale des Étrusques : les premiers temps de l’histoire de Rome sont même empreints de l’influence de ce principe ; seulement il prend une direction différente : il dévie à une certaine date, quand les patriciens surent unir, entre leurs mains, aux privilèges sacerdotaux le pouvoir supérieur de juges et de chefs militaires. D’autres nations, issues d’une souche identique, annihilèrent l’action sacerdotale et développèrent la prééminence d’une autre caste. Ainsi les Perses, les Mèdes et postérieurement les Germains peuvent prendre le nom de peuples héroïques par la puissance qu’ils laissèrent se concentrer dans la classe des guerriers et des nobles. Viennent ensuite les Grecs, qui réunissent ces deux principes, prennent le milieu entre ces deux grandes divisions et par la suite des temps revêtent tour à tour le caractère particulier à chacune d’elles. L’époque héroïque des Grecs fut aussi précédée d’une époque sacerdotale. Tous les anciens mythographes et les historiens, quelles que soient les conjectures qu’ils exposent, s’accordent pour placer confusément dans le fond du tableau de la vie joyeuse, animée, mêlée d’aventures et de passions des Grecs plus modernes, une race primitive de Pélasges, toujours sérieux et méditant, dans le calme d’un état avancé, leur théorie religieuse de l’humanité.

Par ce nom de Pélasges et sa signification étymologique, nous pouvons entendre ou les anciens peuples du pays ou les vieillards des tribus. Ainsi les temps héroïques d’Homère sont déjà une seconde époque, et la première organisation sociale de la Grèce, celle qui lui est antérieure, ressemble surtout à celle des Égyptiens, des Asiatiques ou des Étrusques. Les doctrines sacerdotales et symboliques des Pélasges vécurent longtemps encore, mais cachées et restreintes dans le cercle étroit des mystères ; leur célébrité était grande, une vénération tremblante s’attachait à elles, et les élus qui en recevaient le dépôt sacré, le transmettaient par l’initiation. Elles n’eurent jamais leurs historiens, mais elles eurent leurs poëtes[1] ; les nuages des temps se sont joints aux nuages des doctrines, et nos connaissances sont trop incertaines pour préciser les dates, les faits et les lieux. La tradition par laquelle nous connaissons les poëtes qui florissaient longtemps avant la composition des chants héroïques de Troie et avant Homère commence par Orphée, qui n’était pas Grec, et appartient à cette époque sacerdotale et à cette théogonie toute symbolique des temps primitifs. Voilà un point que nous entrevoyons dans l’horizon éloigné et obscur de la poésie grecque : c’est l’époque la plus reculée, c’est l’époque de la première poésie, c’est l’époque d’Orphée.

Plus tard, le développement de la civilisation grecque se fait par d’autres élémens, par des circonstances d’une autre nature. Un principe ayant fait son temps, il est remplacé ;

  1. Les recherches de M.Petit-Radel sur les constructions pélasgiennes ont étendu le cercle des connaissances acquises sur ce peuple.