Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/99

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« Vieillard qui le dos courbé cultives ces plantes, si toutes portent des fruits, tu feras une abondante récolte. Mais ô vieillard, regarde tout sans rien voir : sois sourd à ce qui frappe tes oreilles et sois muet sur des choses qui ne blessent point tes intérêts. »

Ayant prononcé ces paroles, l’illustre Mercure rassemble ses bœufs, frappe leurs têtes robustes et les conduit à travers les montagnes ombragées, les vallées sonores et les champs diaprés de fleurs. Cependant les ténèbres de la nuit, propices à son larcin, commençaient à se dissiper ; déjà se levait l’aurore, qui ramène les travaux : la lune, fille de Pallante issu du roi Mégamède, s’élevait à peine derrière une colline.

Le fils puissant de Jupiter conduit aux bords du fleuve Alphée les bœufs aux larges fronts qu’il a dérobés au brillant Apollon. Ils arrivent sans nulle fatigue près d’une étable et de lieux marécageux, en face d’une prairie verdoyante. Mercure leur laisse paître l’herbe épaisse, puis il les renferme dans l’étable. Là tous ensemble, ils mangent encore le lotos humide de rosée. Alors le dieu entasse une grande quantité de bois et songe au moyen d’allumer du feu. Prenant une branche de laurier, de sa main vigoureuse il l’échauffe par le frottement de l’acier : bientôt brille une vive lumière, qui répand au loin en pétillant une ardente chaleur. Tandis que Vulcain excite le feu, Mercure entraîne hors de l’étable deux génisses mugissantes et les conduit près du foyer : sa force est invincible. Il les renverse haletantes sous lui, et se précipitant il leur arrache la vie. À ce premier travail, il en joint un second en découpant les chairs succulentes couvertes de graisse : puis il perce ces chairs avec de longues broches de bois et les fait rôtir avec soin ainsi que le large dos, portion d’honneur ; il réunit aussi le sang renfermé dans les entrailles ; laissant ensuite à terre les autres parties de la victime, il étend les peaux sur un âpre rocher.

Bientôt après, Mercure qui inspire la joie retire des foyers les chairs succulentes, les dépose sur la plage unie, en fait douze parts qu’il tire successivement au sort ; il les offre à chaque divinité comme un hommage solennel. Cependant l’illustre Mercure aurait bien désiré savourer les viandes du sacrifice ; il était attiré par un agréable parfum, mais son noble cœur ne cède point au désir de remplir son estomac divin d’une pareille nourriture. Il place soigneusement dans l’étable élevée les chairs et la graisse des victimes ; il rassemble leurs pieds et leurs têtes, qui pourraient témoigner du vol qu’il vient de commettre, les entasse sur les planches desséchées et les livre à la flamme. Le sacrifice achevé, Mercure jette sa chaussure dans les gouffres profonds de l’Alphée, éteint le brasier et pendant toute la nuit le laisse se réduire en cendre noire. La lune alors répandait la douce clarté de ses rayons.

Quand vint le jour, il arriva promptement sur les hauteurs de Cyllène. Nul parmi les dieux ni parmi les hommes ne s’offrit à sa vue sur une aussi longue route : les chiens mêmes ne donnèrent pas de la voix. Alors le fils bienveillant dé Jupiter se courbe et se glisse dans la demeure par la serrure, semblable au vent d’automne ou à une légère vapeur. Il marche dans le réduit sacré de la grotte d’un pas furtif, il pénètre sans bruit comme il le faisait habituellement sur la terre, il arrive ainsi jusqu’à son berceau, il s’enveloppe les épaules avec ses langes comme un faible enfant et reste couché, jouant d’une main avec son maillot et de l’autre tenant sa lyre mélodieuse ; mais le dieu n’avait pu cacher sa fuite à sa divine mère ; elle lui parla en ces termes :

« Petit rusé, enfant plein d’audace, d’où viens-tu pendant l’obscurité de la nuit ? Je crains bien que le fils puissant de Latone ne charge tes membres de liens pesans, ne t’arrache à cette demeure ou ne te surprenne dans les vallons occupé à commettre des vols téméraires. Va, malheureux ! le puissant Jupiter t’a mis au monde pour être le fléau des hommes et des dieux immortels. »

Mercure lui répondit par ces paroles pleines de ruse :

« Mère, pourquoi vouloir me faire peur comme à un faible enfant qui connaît à peine quelque fraude et tremble à la voix de sa mère. Je veux continuer à exercer cet art qui me semble le meilleur pour votre gloire et pour la mienne. Nous ne devons pas ainsi rester seuls parmi les immortels sans présens et sans sacrifices, comme vous me l’ordonnez ; certes il est plus doux de jouir des richesses et des trésors, comme les dieux immortels, que de languir oisifs dans l’obscurité de celle grotte. Je veux jouir des mêmes honneurs qu’Apollon ; je tenterai tout pour les ravir, puisque mon père me