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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/107

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Elle défaillait. Elle me repoussa, murmurant : « Non ! Non ! Je ne veux pas ! Laissez-moi ! » Alors me vint à l’esprit cette réplique romanesque : « Vous êtes cruelle, madame ! Comment pourrais-je vous oublier à présent ? » Elle répéta, la voix mourante : « Laissez-moi ! Retirez-vous ! » Et je me retirai. Sans me retourner je traversai la cour, ouvris la grille. J’étais sur la route.

J’avais oublié la plaque ! Je dis à mon père que Mme Lorimier l’avait égarée. Je ressentais une surexcitation que je m’efforçais de ne pas rendre manifeste. Ma nuit fut fiévreuse. Sans doute Mme Lorimier allait-elle apporter cette plaque fugace, et de bon matin je sortis pour surveiller la route. À dix heures, la calèche apparaissait au sommet de la côte. Elle venait tout droit chez nous.

Quel visage ravagé Mme Lorimier me montra ! Elle me remit la plaque, puis sans diriger ses yeux vers moi :

— Monsieur, je vous en conjure, ne me jugez pas sur ce qui s’est passé hier.

Si interdit que je fusse, j’eus l’esprit de balbutier cette réponse :

— Madame, le souvenir de ce qui s’est passé restera toujours au plus profond de mon cœur.

Le tour en était déclamatoire, mais la pensée qu’elle exprimait, j’en atteste la sincérité. J’étais follement amoureux de Mme Lorimier.

— Au revoir, monsieur, me dit-elle, pâlement souriante et ne me dérobant plus ses regards.

La calèche repartit. Tout me portait à croire que ce roman d’amour n’irait pas au-delà de sa brève préface. Dix jours passèrent. La barque fut livrée, mais je ne parus pas à la maison de Saint-Jean-de-Losne. Peu après, dans la grande rue de Saint-Brice, la calèche me croisa. Je tirai un grand coup de casquette, et je vis s’incliner la capeline. Décidément, c’était bien fini.

La chasse allait fermer. Chaque matin, fusil en main, je faisais une longue tournée avec mon chien Furet, chasseur délicieux, mais insupportable compagnon, qui n’obéissait que devant le gibier et ne me prenait pas au sérieux quand je lui imposais une simple promenade. Un dimanche,