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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/123

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tenaient trois soldats, coiffés du bonnet de police. L’un d’eux attira mon attention. Où diable avais-je vu cette figure ? Il me parut qu’il me regardait. Eh ! C’était Bougret, l’amoureux d’Agathe. Je savais qu’il s’était faufilé au bureau de recrutement de Dijon par l’entremise du chef, le capitaine Tautain, qui était de Saint-Brice. Je le connaissais à peine, mais je lui vouais un légitime ressentiment, moins pour le pucelage d’Agathe qu’il m’avait pris que pour la chaude-pisse qu’il m’avait passée. Aux heures cuisantes de cette épreuve vénérienne, je crois bien que je lui aurais administré une raclée si je l’avais rencontré sur ma route. Vengeance intempestive, car il ignorait évidemment les libertés que je prenais avec Agathe, bien qu’il ne fût pas sans avoir entendu jaser dans Saint-Brice à propos de notre intimité d’enfance.

Je le vis se lever, venir à moi la main tendue. C’était le type même du troupier villageois, court, maigriot, rougeaud.

— Monsieur Fargèze, comment que vous allez ? fit-il. Vous v’la donc à Dijon, à c’t’heure ?

— Oui, comme vous voyez, répondis-je sans me hâter de saisir la main.

— On se verra sans doute à Saint-Brice pour la Toussaint, monsieur Fargèze ?

— Peut-être bien.

— Alors, au revoir, monsieur Fargèze.

— Au revoir.

Il regagna sa table, comprenant que je n’engagerais pas un entretien. Des charretiers qui venaient d’entrer se faisaient servir du ratafia. Ils se mirent à chanter et, soudain visant la tablée de soldats, s’écrièrent que ces bougres de clampins avaient l’air de se foutre de leur gueule. Les rixes entre civils et militaires étaient fréquentes. L’impopularité de la troupe se justifiait par la vantardise agressive des guerriers de l’Orient. Les trois soldats feignant de ne pas entendre, l’un des braillards frappa du poing sur leur table jurant qu’il se chargeait d’apprendre la politesse aux fiers-à-bras de caserne. Ils ne bougeaient toujours pas. L’homme leur répéta sous le nez ses menaces, jusqu’à ce qu’arrachant