Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14

faisais aussi travailler Ravageot, qui aboyait à mon tumulte de bouffon.

Je raffolais de comédie. Un théâtre forain m’avait laissé dans l’éblouissement de son décor féerique. Avec des planches revêtues de haillons, je m’étais aménagé un théâtre à moi, où je me glissais avec délices pour chanter, crier, hurler durant des heures comme un écorché vif, au point de faire s’arrêter les passants sur la route. Je m’exerçais devant une glace à des pitreries qui me contorsionnaient le visage, hideusement.

Je tournais au « jean-fillette ». Ma mère grondait : « Pourquoi ne t’amuses-tu pas avec les garçons ? On va te prendre pour une fille. » Je feignais de l’écouter, mais la minute d’après je revenais à mes petites camarades. J’embrassais sans me cacher leurs joues fraîches. Étranger à toute pensée vicieuse, je démêlais vaguement l’impudique. Lorsque la nuit tombait, elles se rendaient, en sautillant d’un air très détaché, au fond de notre jardin. Alors, troussant haut leurs cottes, elles me montraient leur derrière. J’y prenais un vif plaisir, celui qu’on peut attendre d’une chose défendue et vilaine. Puis elles s’en retournaient, graves, avec le même sautillement. On eût dit qu’elles accomplissaient un rite. Dans leur esprit, ce spectacle privé devait être la récompense de mes soins à leur plaire. Presque chaque jour, du printemps à l’automne, il en était ainsi. Nul ne s’avisa jamais de nous épier, et jamais nous n’allâmes plus loin dans la voie libertine. Cette bagatelle suffisait à ma candide curiosité.

Je fis ma première communion. Quel événement ! Quelques mois plus tard, je remportais tous les premiers prix à l’école. J’en avais fini avec l’enseignement communal. Qu’allait-on faire de moi ? Maman voulait que je restasse auprès d’elle. Papa disait : « Veux-tu travailler à l’atelier, fiston ? Tu seras mon apprenti. » M. le curé, d’autre part, n’entendait pas qu’on le privât de mes services. Mais le maître d’école survint : « J’aime à croire, monsieur Fargèze, que vous pousserez Félicien. Vos moyens vous le permettent. » Il n’en fallut pas plus. De l’intelligence ! Des diplômes ! De l’avenir ! L’amour-propre paternel fut