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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/213

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Elle ne vint pas le lendemain matin. Le délai d’un jour était expiré. Que ferait Buizard ? Je reçus, portée par un commissionnaire, une lettre par laquelle Jeanine me donnait rendez-vous sur le quai du Louvre. Je l’y trouvai. Elle m’embrassa, fondit en larmes. En me mettant au pied du mur, Buizard avait son idée, celle de parer à tout tracas en remariant sa fille quelle que fût ma réponse. Un prétendant était prêt à se déclarer, un employé de la Monnaie, M. Berland, honorable quadragénaire, demeuré veuf avec une petite fille. Je le connaissais pour avoir trinqué avec lui aux « Amis de la Marine ». Jeanine se voyait donc condamnée à devenir Mme Berland, puisque je ne voulais pas en faire une Mme Fargèze…

Je lui répétai ce que je lui avais dit bien des fois :

— Je t’aime de tout mon cœur, mais puis-je songer au mariage alors que je n’ai pas de position sérieuse ? Je dépends encore de ma famille, tu le sais…

Elle s’attendait à cette déclaration. Elle me renouvela sa proposition de se mettre avec moi en ménage. Elle placerait le petit chez la cousine de Robinson ; on vivrait en chambre comme mari et femme. J’eus beaucoup de peine à lui faire comprendre que ce « collage » ferait scandale, affligerait ses parents et les miens. À mon avis, le mieux serait qu’elle demandât à réfléchir, qu’elle laissât adroitement traîner les choses. Mais elle pleurait et pour la consoler je l’emmenai dans un hôtel de la Croix-des-Petits-Champs, où elle ne songea plus qu’à être la tendre Jeanine. Nous étions dans la quatrième année de notre amour, qui restait pur de toute cendre. Allions-nous cesser de connaître cette douce accoutumance ? Elle me promit de suivre mes conseils ; elle ruserait pour gagner du temps.

Cependant une autre catastrophe se préparait. Un soir, accourant échevelée, Hortense m’apprit qu’on venait d’assigner au capitaine Quincette la résidence de Dijon, où il avait mission d’établir un service qui se rattacherait à la direction centrale du génie. Il lui fallait quitter pour quelques années Paris, et bien entendu, la loi conjugale la contraignait à le suivre. Avec quel accent de désolation elle me fit part de cette désastreuse nouvelle ! Elle souhaitait