Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226

plus d’un millier de francs. Je n’en demandais pas plus.

J’avais en Isabelle une maîtresse précieuse, une véritable associée, laborieuse et compréhensive. Mon bureau même devint notre chambre d’amour. Elle ne quittait son travail que pour aller retrouver sa mère. Je l’amenais rarement rue Monsieur-le-Prince, et jamais on ne nous vit dans les tavernes du Quartier. Entre ces tavernes, il en était une nouvelle, la Jeune France, qui bénéficiait de la percée des boulevards Saint-Michel et Saint-Germain. Les étudiants y descendaient en bande après minuit. À cette époque, ils se battaient à l’Alcazar d’Été pour Thérésa, comme ils s’étaient battus trois ans auparavant pour Renan au Collège de France. Je m’incorporais à leurs cohortes cognantes et hurlantes. La Jeune France était notre centre de ralliement J’y rencontrais une nymphe du nom de Bibiane, drôle de petite femme bien en chair, qui m’amusait par son air candide et ses propos orduriers. Je faisais volontiers jambes en l’air avec elle quand des amours mieux rétribuées ne la retenaient pas ailleurs. Je n’en voulus pas moins me rapprocher de mes affaires, et, renonçant aux nichons de Mme Piquerel, je vins habiter 38, rue des Bourdonnais, à l’hôtel de Rochefort, ce qui ne m’éloignait pas trop de mon cher pays latin.

Dans les premiers jours d’avril 66, j’appris par mon père une nouvelle qui m’attrista. L’excellent oncle Pouchin était décédé à l’hospice de Nevers, où on l’avait transporté au cours d’une terrible crise de foie. Il laissait une situation difficile, qu’un homme d’affaires s’employait à débrouiller, ma mère étant héritière. Ses trois péniches constituaient le meilleur de son avoir. Depuis déjà longtemps Balthasar, dit Nom-de-Dieu, n’était plus à son service, travaillant dans le Nord pour son compte, marié avec la Berrichonne qui lui avait donné deux enfants. Je partis pour Saint-Brice où je restai trois semaines. Un notable changement venait de se produire dans l’immobile village. La mère Lureau était morte. Bougret, agréé par l’administration du Canal au titre d’éclusier, habitait avec Agathe et leur marmaille à un kilomètre en amont ; l’auberge avait été reprise par le mari de Louisette, aveuglément