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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/252

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savaient rien des armes nouvelles, il s’y trouvait, non compris les mobilisés, quelques bataillons de la garde mobile de la Loire et de la Haute-Garonne, des volontaires et des francs-tireurs, ceux-ci n’étant armés que de fusils à tabatières. Pas de chevaux, pas de bouches à feu. L’administration militaire était incohérente. Avec la meilleure volonté du monde, chacun tirait de son côté.

Le Comité fit exécuter quelques travaux de défense constitués par des tranchées et des abattis. J’ignorais le maniement de la pelle et de la pioche, mais je n’y fus pas trop maladroit, et la manœuvre de lourds matériaux fit vite apprécier mes moyens musculaires. La zone où nous opérions s’étendait assez loin sur la route de Gray, et nous logions chez l’habitant. Je fus ainsi, avec deux autres sapeurs, l’hôte d’un ménage de maraîchers, le père et la mère Bailloche. Ils avaient avec eux une nièce de vingt-huit à trente ans, Angèle Didier, veuve d’un homme d’équipe du chemin de fer qui, deux ans auparavant, avait été broyé par un train. Taille fine et poitrine avenante, Angèle Didier était fraîche comme une rose. Je la contemplais quelquefois, ce qui la rendait confuse. Mais l’heure n’était pas à la galanterie, et le soir, dès après la soupe, la fatigue nous entraînait, mes camarades et moi, dans un sommeil à poings fermés.

Je n’en mis pas moins à profit mes moments de loisir pour aller à travers cette ville qui m’était si chère par tout ce qu’elle me rappelait : le lycée, l’ami Morizot, mes débuts de puceau avec Sidonie, et puis Fifine et la jolie Lolotte… Je revoyais avec émotion les témoins muets d’une jeunesse qui déjà m’apparaissait dans les brumes du passé.

Cependant l’invasion se développait, foudroyante. Le 17 octobre, les Allemands franchissaient les Vosges, marchant sur Vesoul. L’avant-veille, j’avais vu passer dans sa calèche escortée de brillants cavaliers Garibaldi revenant de Tours, où était Gambetta, et se rendant à Dole. Dijon était menacé. Les troupes du général de Werder, commandant le 14e corps de l’armée prussienne, s’avançaient rapidement, fortes de plus de vingt-cinq mille hommes, avec six mille chevaux et quatre-vingts canons. La première