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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/32

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CHAPITRE TROISIÈME

L’auberge Lureau. Mon ami Morizot.
Escapade à Dijon. Mes débuts amoureux.
Je veux quitter Saint-Brice.

Reverrais-je Hubertine ? Je ne J’espérais guère. Mais le chagrin que me causait son départ fut immolé à la joie orgueilleuse qui chantait en moi. Ses baisers et sa morsure m’avaient fait homme. J’allais à travers la campagne, le long de la Saône, et je riais, je parlais tout seul en revivant mon premier souvenir d’amour. Finie, ma gêne devant mes petites amies ! Je dévisageais en plein œil les Saint-Briciennes. Je prenais un air entendu lorsqu’on narrait en ma présence des histoires scabreuses. J’en contais même, et sans qu’on m’en priât, récapitulant les obscénités nauséabondes qui meublent la mémoire d’un lycéen. Mon changement d’allures fut assez sensible pour donner l’éveil à mon père, qui me prit à part, me frictionna de recommandations spéciales : « Pas de bêtises, fiston. Les filles, tu sais, il faut y prendre garde. » Ce que j’accueillis avec la désinvolture qu’autorise une vieille expérience. Ma mère cherchait à lire en moi, scrutait mes poches, flairait mon linge. L’un et l’autre, néanmoins, me laissaient pleine liberté, et chaque après-souper je disparaissais, allant rejoindre des amis, quelques « messieurs » de Saint-Brice, à l’auberge Lureau.

Car ma qualité de semi-bachelier me valait le bon accueil des fonctionnaires, percepteur, conducteur des ponts-et-chaussées, surveillant du canal et agent voyer.