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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/83

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Je venais, dis-je, de recevoir une pressante lettre de mon père. Il avait dû réfléchir sur mon histoire de préfet, car il m’ordonnait de renoncer à cette fameuse place et de rentrer sans retard. Je ne pouvais donc compter sur de longs atermoiements. J’en fis l’annonce aux Boulard, comme je l’avais faite à Claire. Ils n’eurent pas de crises de larmes, eux, mais Boulard me manifesta des regrets, certainement sincères. Mme Boulard fit une mine désolée ; le petit Boulard protesta par des trépignements épileptiformes. Je leur suggérai d’écrire à mon père afin d’en obtenir tout au moins un délai de quinze jours, ce dont ils me remercièrent comme d’un sacrifice. Le vrai, c’est que j’étais trop à mon affaire à Orléans pour ne pas tirer le plus possible sur la ficelle. Mme Boulard écrivit séance tenante. La réponse ne pouvait qu’être favorable, mais au bout du compte il me faudrait quand même faire mon paquet.

Claire ne me laissait pas une minute. Elle m’entourait de tels soins tendres que notre liaison ne put échapper aux pensionnaires qui, je dois le dire, gardèrent toute discrétion. Comment n’eût-on pas remarqué qu’elle était sur mes talons le matin, à midi, le soir ? Elle se mit à revoir, aiguille en main, mes habits et mon linge, qui depuis cinq mois avaient passablement souffert. Ma mère m’avait envoyé des chemises : elle y cousit une broderie, dont c’était alors la mode. Il commençait de faire froid : elle m’offrit une casquette à poils, se rabattant sur les oreilles. Elle me lavait, me peignait, me parfumait. Nous allions de sa chambre à la mienne, où il lui plaisait de respirer, et nous écrasions mon matelas après avoir écrasé le sien.

Il y avait dix jours que Germaine était partie, et Mme Boulard s’étonnait de n’avoir pas de ses nouvelles. Boulard décida de l’aller chercher, et il attela pour se rendre à Chevilly. Il la ramena le soir. Je la vis le lendemain matin, si jolie dans le cadre du petit bonnet de deuil. J’étais fourbu d’avoir besogné toute la nuit, mais je ne la servis pas moins, cependant qu’elle me contait la mort de sa mère, les discussions avec ses frères pour un partage de terrain. Elle me pria de ne pas venir dans sa chambre, ce