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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/104

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se montre dans les casinos. Mais elle regrette le décor éblouissant des premiers pas et revient souvent à ces sources d’énergie qui produisent des chirurgiens, des pianistes, des banquiers et parfois de grands électeurs, comme Baruch, le grand argentier du parti démocrate aux États-Unis, l’homme de Roosevelt. Comment ne pas éprouver en effet la nostalgie d’un ghetto quand on est juif bon teint, ce quartier fût-il minuscule comme le ghetto parisien, dont le pittoresque ramassé ne le cède en rien à celui des grands centres. Ici comme ailleurs, les bouchers s’appellent Simon Klotz, les drapiers Hirschfeld, le pain azyme de la rue des Écouffes est le meilleur du Continent, le seul véritable puisqu’il est fabriqué sous la surveillance du Grand Rabbin, lequel se fait assister pour ce rite d’un autre rabbin.

Des détritus croupissent dans les ruisseaux, mêlés aux enfants chétifs, aux chats eczémateux. Une odeur de beignets, de cuisses chaudes, de poireaux traîne à la hauteur des rez-de-chaussée. Des silhouettes ornées de tresses traversent les rues étroites et vont s’approvisionner en sirops ou en chaussons de moujik dans les librairies-restaurants. Rares sont les taxis qui se hasardent dans ce bazar. Tous les Juifs d’un ghetto se connaissent, s’épient, passent leur vie à jouer serré sur le plan de la rapacité : aucun d’eux ne voudrait fournir à ses semblables la preuve d’une trahison, d’une faiblesse. Celui qui désire se faire véhiculer est déjà marqué pour le départ, les