Aller au contenu

Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clames pour pensions yddisch de Deauville, d’affiches relatives à quelque théâtre juif, rehaussées de ferrures et d’ornements architecturaux. C’est un département humain immonde et splendide, peint, criard, ouvragé, rembourré de richesses clandestines, d’accumulations singulières, d’où partent des cours et des ruelles difformes et fangeuses, des sentiers de maisons puantes, bordées de magasins dont les inscriptions hébraïques composent un paysage graphique aussi biscornu que ténébreux. Mais le ghetto parisien, si mêlé à l’arrondissement qui le renferme comme une teigne, comporte aussi des relents d’histoire.

La rue du Roi-de-Sicile, ce nom pour crimes balzaciens, se poursuit et glisse vers un horizon de tristesse. Après la fameuse boulangerie juive, où les amateurs et les initiés viennent de tous les quartiers de Paris chercher des gâteaux spéciaux, les meilleurs et les plus bizarres de formes que l’on puisse concevoir, les boutiques et les restaurants s’espacent. Il semble que la rue bâille de souvenirs. Elle tourne assez brusquement, dans une sorte d’angoisse, et se jette dans la rue Malher, laquelle s’appelait rue des Balais quand les Septembriseurs se massèrent un matin devant la prison de la Force, qui s’y trouvait à l’angle du faubourg Saint-Antoine, en massacrèrent tous les prisonniers, décollèrent la Princesse de Lamballe, fichèrent sa tête au bout d’une pique, l’oublièrent parfois dans les coins des mastroquets où ils s’arrêtaient, marchèrent sur le Palais-Royal, et la haussèrent devant les fenêtres d’une salle où