Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/11

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fondant sur lui, comme un parachute qui ne se serait pas ouvert. Mais il lui fallait encore amener la proie sur le rivage, c’est-à-dire nager, sortir de l’eau, encombré d’ailes, de griffes, d’écailles et de liquide. Il y avait là pour moi une série de mystères admirables, d’enchaînements et de lois où je voyais souvent quelque clef du monde.

Mais que répondre aujourd’hui au collègue désireux de connaître comment je donne, moi, ce coup de serres dans un autre milieu, ou plutôt ce coup de filet, comme disait mon vieux Thibaudet ? Je ne sais. Ou plutôt, je sais que je n’ai pas de méthode. Ce n’est pas qu’une force obscure et malicieuse me rende somnambule tout à coup et m’oblige à poser les deux coudes sur la table. Je ne tiens guère à l’inspiration.

Qu’on veuille bien m’excuser de risquer ici quelques semble-paradoxes auxquels je tiens comme à la racine de mes yeux. Je ne me fie pas trop à l’inspiration. Je ne me vois pas, tâtonnant parmi les armoires et les chauves-souris de ma chambre, à la recherche de cette vapeur tiède qui, paraît-il, fait soudain sourdre en vous des sources cachées d’où jaillit le vin nouveau. L’inspiration, dans le royaume obscur de la pensée, c’est peut-être quelque chose comme un jour de grand marché dans le canton. Il y a réjouissance en quelque endroit de la matière grise ; des velléités s’ébranlent, pareilles à des carrioles de maraîchers ; on entend galoper les lourdes carnes des idées ; les archers et les hus-