Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/111

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atteinte. Rien n’a moins bougé que les hôtels de la rue des Guillemites, de la rue de l’Ave-Maria, de la rue Barbette ou de la rue des Lions. Aujourd’hui comme hier, les propriétaires pourraient rentrer dans leurs demeures sans trop manifester de surprise, Il semble qu’on y ait distribué le progrès au compte-gouttes, par honte, par peur du moderne. Quelqu’un disait, en prenant possession de l’hôtel de Villedeuil, longtemps habité au xviie siècle par un singulier sosie de Louis XIV, le marquis de Dangeau : « C’est si peu de l’électricité qu’il vaudrait carrément mieux s’en tenir pour toujours aux bougies. »

J’ai accompagné, des jours entiers, dans le labyrinthe du Marais, quelque temps après la guerre, une fort jolie dame américaine que ces somptueuses demeures avaient grisée : Hôtel Lamoignon, hôtel Lefèvre d’Ormesson, hôtel de Châlons-Luxembourg, dont la porte est inoubliable, hôtel d’Antonin d’Aubray, hôtel de Fleury… Bref, elle en rêvait. Du rêve elle fit un bond chez les marchands de biens et leur expliqua en ma présence qu’elle voulait absolument acheter un hôtel « avec rampes, bas-reliefs, tourelles d’entrée, moulures, escaliers de pierre, moucheurs de chandelle, etc… » Le malheur est que les maisons sur lesquelles elle jetait son dévolu étaient généralement occupées par des écoles de la Ville de Paris, des prêteurs sur gages, des musées, des bronziers, des notaires crochus et myopes, des associations, des administrations, ou des particuliers qui n’avaient pas la moindre en-