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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/13

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saires au rythme universel que les sept merveilles du monde ; et qui finissent par se confondre avec la nature, avec les arbres, avec les visages, avec les maisons, l’on n’écrit rien. Personne ne fait véritablement ressemblant. Autre chose aussi sollicitait notre angoisse. C’était le poids toujours constant, toujours présent, et sur une seule impression, du monde entier, matières, bruits, souffles, croisillons étranges, souvenirs. Nous étions là, promeneurs excités du boulevard de la Chapelle, fixés sur un seul point de la vie éternelle, sur un seul furoncle du tourbillon. Et cependant des rois mouraient, un crime s’équarrissait, une paire de lunettes glissait d’un nez, les anguilles filaient comme des coups de couteau vers des paradis aquatiques plus tièdes, le garçon du café voisin pleurait dans le demi-setier du client tendre, un tramway montait en râlant de la gare de l’Est, on jouait au bridge chez Mme de Jayme-Larjean, il faisait nuit d’hiver ici, et printemps là-bas couleur de thécla… La somme brasseuse et polymorphe vivait de son fourmillement. Tout vivait en même temps. La pensée qu’il faudrait des millions et des millions d’années pour décrire la millionième partie d’un instant nous confondait, nous brutalisait, nous figeait sur place. Et je répétais que personne ne se décidait à écrire ce que l’on n’écrira jamais. Alors Philippe, de sa voix bonne, rude, un peu tordue, jamais oubliée, me disait : « Décide-toi. » Puis nous repartions vers les nuits infinies de nos destinées incon-