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CRÉPUSCULE RUE DE LAPPE

Ce soir-là, j’avais eu, dans un restaurant de la place de la Bastille, où je dînais avec de chers amis, une courte altercation, « à propos d’un parapluie », avec de vagues clients venus pour des paupiettes « terminées », comme il leur fut dit. Nous n’attendîmes pas longtemps avant de nous bouder. Il y avait, dans la bande de ces dîneurs déçus, un voyou très « modern’ style » qui ressemblait à une bottine jaune, et dont le parler était assez plaisant à entendre malgré l’afféterie qui s’en évaporait. Quelques instants plus tard, après avoir flâné entre des autobus, le long de la Tour d’Argent du lieu, et vidé quelques cafés tièdes chez Victor, je retrouvai mon type dans un grand bar de la rue de Lappe.

Cet ancien joyau d’ombre du onzième arrondissement a joliment changé en quelques années. Ce n’est plus qu’une artère, une varice gluante d’enseignes électriques de la dernière heure, qui semble ouverte et de laquelle s’échappe un aigre sang de music-hall. Des voyous en melon traînent le long des voûtes comme des soldats de plomb froissés. Des chats traversent le pavé suintant et ronronnent le long de la cheville des agents cyclistes. Des hommes privés de faux-col, pour faire « sport »,