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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/199

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que l’une de ces deux chambres est toujours vide la nuit, mais il l’ignore parfaitement, le 307 et le 234 se saluant à peine dans le couloir et affectant souvent d’avoir l’un pour l’autre un profond mépris. On m’a cité le cas d’un riche provincial que ses affaires obligent à faire à Paris trois séjours annuels d’une assez longue durée, en compagnie de sa femme. Or cette femme, qui est toujours légitime, n’est jamais la même. Mais tout le monde à l’hôtel doit l’ignorer, et veiller à ne pas remettre à l’épouse de Juillet la combinaison rose oubliée par l’épouse de Décembre.

Plus redoutable que le journaliste, et cette fois plaie au féminin, me faisait remarquer un gérant subtil, est la madone des palaces. Après s’être fait annoncer par des lettres qui ne laissent aucun doute sur sa distinction mystérieuse, après avoir câblé et recâblé qu’elle avait fait un peu de cinéma, par condescendance, entre deux divorces princiers, elle se présente à l’hôtel, encombrée de bagages et de châsses mastodontes, comme une ambassade du seizième siècle, mais le portemonnaie vide. Physionomistes aussi rapides que les inspecteurs de Monte-Carlo, les directeurs des grands hôtels reconnaissent aussitôt l’aventurière. Mais ils sont bien obligés de lui faire crédit jusqu’au jour où elle rencontre enfin dans le hall le généreux donateur qui en est à sa première aventure… Si celui-ci ne se présente pas, le directeur n’a plus qu’à faire sous les yeux de la vamp un inventaire discret et respectueux de ses bijoux et de ses fourrures. Il déclare qu’il