Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/34

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tus comme des notaires, parcouraient parfois les rues en hurlant : « À bas le Boulangisme. » « Vive la Commode ! », répondaient les cousettes en caressant les naseaux des chevaux de fiacre. Les amants avaient des chapeaux melons. On mangeait pour rien, me disait un soir Forain, et même pour moins que ça. Willette, un des mandarins de la Butte, ou mamelle de Paris, selon le mot de Rodolphe Salis, n’oubliait jamais de faire remarquer aux journalistes qui venaient l’interroger sur son art, que, tel Jésus entre deux larrons, le Sacré-Cœur se dresse entre le Moulin de la Galette et le Moulin Rouge. Le mendiant chantait, le concierge chantait, l’oiseau, l’arbre, le réverbère chantaient. Chez la blanchisseuse et chez l’usurier, on était généralement accueilli par une de ces romances que reprenait Eugénie Buffet. Seuls, quelques agents de change ou marchands de canons de l’époque disaient à leurs enfants que la Butte ne nourrissait pas son homme, et les emmenaient voir Louise, chef-d’œuvre topographique, carte d’état-major à musique qui contient tout ce que Montmartre a de sentimental, de charmant, de barbant, de léger, de ridicule, de féminin et de pervers. J’ai vu Louise dans une sous-préfecture, chantée par un ténor de plate-forme d’autobus et une charmante demoiselle qui n’avait jamais vu Montmartre. Charpentier, grand musicien, a merveilleusement compris son affaire. Tout le paysage montmartrois est là avec ses manières particulières, ses mots, ses ombres et ses fantômes.