Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/42

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gneux du cabaret qu’on abandonne aux « vicieux » ou aux étrangers, le chef-d’œuvre de cette illumination, c’est le Wepler qui, pendant des années, est resté surmonté d’un mur de planches couvert d’affiches et semblait vivre sous un tunnel. J’aime cette grande boîte à musique, importante comme un paquebot. Le Wepler de la place Clichy est rempli de merveilles, comme le Concours Lépine. Il y a d’abord à boire et à manger. Et des salles partout, ouvertes, fermées, dissimulées. La voilure amenée, ces salles sont habillées en un rien de temps. Les femmes se distribuent suivant leurs îlots, leurs sympathies, contre le décor et les boiseries 1900. Au milieu, composé de prix du Conservatoire, l’orchestre joue son répertoire sentimental, ses sélections sur Samson et Dalila, la Veuve joyeuse ou la Fornarina, avec de grands solos qui font oublier aux dames du quartier leur ménage et leurs chaussettes.

Cette musique, entrecoupée de courants d’air et de chutes de fourchettes, se déverse en torrents bienfaisants sur la clientèle spéciale qui rêvasse dans les salles : rentiers cossus, vieux garçons sur lesquels la grue tente son prestige, boursiers du second rayon, fonctionnaires coloniaux, groupes d’habitués qui se réunissent pour ne rien dire, solitaires, voyageurs de commerce de bonne maison, quelques journalistes et quelques peintres, qui ont à dîner ou qui ont dîné dans le quartier. Les virtuosités de l’orchestre filent le long des môles, traversées par les chocs des billes de bil-