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Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/62

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payer certaines notes se lisait sur des visages de faiseurs de films. Admirablement insensibles à ces espérances ou à ces angoisses, les garçons passaient, polis et mécaniques, entre les tables.

Vexé comme celui qui aurait attendu en vain une jolie femme sous les yeux de la foule, je pris brusquement la résolution de sortir et d’aller déjeuner. Quand on sort d’un immeuble quelconque des Champs-Élysées, on a la sensation du large. Je me promenai longuement, comme sur un pont de paquebot, avant d’entrer au Fouquet, capitale indiscutée de l’endroit. Si le Select absorbe comme une administration ce que le quartier a de plus douteux, de plus éphémère, le Fouquet’s ne donne asile qu’à ce que Paris compte de moins contestable. On va au Select, on a l’air d’être reçu chez Fouquet. Le haut personnel cinématographique, qui, de temps à autre, a besoin de changer d’air, quand il vient au Fouquet choisit de préférence le soir et se confine dans les coins. Par coquetterie, dit-il, il tient la terrasse jusqu’aux premiers froids un peu vifs. À la vérité, il est profondément humilié par la clientèle heureuse de vivre du Fouquet, dans laquelle il reconnaît ceux qui font pour de bon d’authentiques films et qui passent dans les salles. Il voit Tourneur, au nom prédestiné, Raimu, qui ne passe pas inaperçu, Murat, Pierre Benoît, qui fit des dialogues, tous gens qui ne rêvent pas. D’autres encore, mêlés au monde de la Bourse ou à celui des Courses, et pour qui le Fouquet à la cuisine excellente est une antichambre délicieuse.