Page:Fargue - Le Piéton de Paris, 1939.djvu/76

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décor. Léon Daudet, dans son Paris Vécu, consacre plus de cinquante pages aux seuls quais, à ses bouquinistes et à ses librairies d’occasion. Au sujet de celle de Champion le père, il fait cette remarque qui, dans un siècle, donnera encore le goût de la rêverie aux derniers bibliophiles : « L’atmosphère était érasmique, seizième siècle en diable, et de haute et cordiale intellectualité. Quand il voyait qu’un livre vous faisait envie, Champion disait doucement : « Prenez-le… Mais non, mais non, vous le paierez une autre fois. »

De ce paysage, sur lequel ont poussé comme par goût les plus beaux hôtels, le Louvre des Valois, les monuments les plus étonnants, comme la Tour Eiffel, les plus suspects, comme la Chambre, les plus glorieux, comme l’Institut de France, c’est la partie centrale qui est à la fois la plus célèbre et la plus fréquentée, et ce sont certainement les quais de Conti et Malaquais qui arrivent ex-æquo en tête du concours. J’ai demandé à des pouilleux, à des sans-logis de la meilleure qualité pourquoi ils préféraient ces deux quais aux autres, surtout pour dormir sur les berges, mêlés aux odeurs de paille, d’absinthe et de chaussure que la Seine véhicule doucement : « Parce que, me fut-il répondu, nous nous y trouvons plus à l’aise et comme chez nous. De plus, les rêves y sont plus distingués. » Réflexion pleine d’intérêt, et qui me rappelle une anecdote. I] m’arrive très souvent de prendre un verre de vin blanc dans un petit caboulot des Halles que je ne trouve d’ailleurs qu’à tâtons la