Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/60

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plaine et son lac qui rient et qui chatoient comme un paysage de Watteau ; – et au delà, à l’horizon, jaillie violemment des prairies et des bosquets, tel un fantôme blême au milieu d’un jardin de soleil, l’Alpe Grée, debout dans son linceul de neige.

C’était le matin. Mademoiselle Dax, qui avait la permission de sortir seule avant dix heures, montait à grandes enjambées le sentier vert. Elle profitait avidement de cette liberté matinale. Elle adorait la fraîcheur mouillée des bois qui s’éveillent et l’odeur encore nocturne des fleurs que le soleil vient de rouvrir, et la première chanson des oiseaux, et, plus que tout, la solitude.

Si tôt, les gens dormaient encore à l’hôtel ou paressaient devant leur chocolat et leur lait bourru. Point de touristes trop chics, point de panamas dernier cri, point d’ombrelles couleur arc-en-ciel, sur ces chemins agrestes qui s’embellissent tellement d’être déserts.

Mademoiselle Dax songea tout à coup qu’elle était vraiment libre comme une pouliche échappée ; que c’était ainsi tous les jours depuis quinze jours ; que « m’man », hostile aux lits d’hôtel comme à tout ce qui n’était pas son chez soi, affirmait aigrement ne pouvoir s’endormir ici qu’à l’aube ; que Bernard, pour rien au monde, n’eût manqué de rôder le matin dans les corridors où l’on peut entrevoir des pantalons de femme ; – bref, que nul être ne troublerait sa fantaisie ; que tout était pour le mieux dans la meilleure des Suisses ; – et, sûre qu’on ne pouvait l’entendre, elle jeta aux échos, de toutes ses forces, un grand cri joyeux de petite fille.