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madeleine bouvart.

l’œil au guet, l’oreille tendue, oubliait irrévérencieusement depuis un quart de lieue de se croiser les bras, comme cela se pratique d’ordinaire chez les porteurs de livrée dans les bonnes maisons.

C’est que, voyez-vous, l’ennemi était signalé aux approches du bois Gomin, et le général Montgomery arrivait, tambours battants, précédé de la terrifiante nouvelle qu’il n’avait fait qu’une seule bouchée du Fort Saint-Jean et des villes de Montréal, de Sorel et des Trois-Rivières.

On avait bravé Arnold ; mais devant le terrible général tout le monde sentait la panique l’envahir.

Au loin, dans la campagne, si loin que l’œil pouvait aller, il n’entrevoyait que bourgeois importants et gourmés, renfoncés dans leurs petites carioles et devisant sur un ton bourru de la perspective d’être privés, pour quelque temps, de leur promenade favorite ; paysans, tirant péniblement derrière eux leurs traînes surchargées d’effets, de linge et de pauvres meubles, presque tous des souvenirs de famille ; élégants, oublieux pour ce jour-là, de la pose et de leur coupe d’habits ; officiers et soldats se repliant des avant-postes.

Tous ces gens criaient, juraient, se bousculaient et semaient devant eux la consternation et l’effroi.

Seul, le cheval de Madeleine habilement manœuvré, passait au milieu de ce tohu-bohu sans rien heurter, et s’avançait grand train vers la porte Saint-Louis.