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LES ÎLES DANS

relevaient la couleur sombre de la boiserie. Une fenêtre entr’ouverte laissait voir un coin de paysage qui ne manquait pas de charmes : tout autour de nous respirait la santé et le bien-être. Il nous paraissait évident que M. Pope possédait un secret qui manque à bien des gardiens de phare. Où plusieurs de nos compatriotes auraient senti les étreintes de la solitude et de la gêne, cet homme essentiellement pratique réussissait à se créer une aisance relative. Ses champs étaient défrichés et bien fumés ; ses étables pleines ; ses vignots couverts de morues, et ce qui surprenait surtout les gens de l’île, au bout d’un an ses vaches ne mouraient pas de ce mystérieux catarrhe qui emportait toutes les bêtes à cornes de l’Anticosti. Elles seules, avaient le privilège de vivre et d’attendre à point le pot-au-feu. Un joli yacht se balançait dans la baie au milieu d’une escadrille de barges destinées à faire la pêche sur les fonds : bref, M. Pope avait fait fi du dicton favori de grand nombre de ses collègues, qui se laissent aller à l’apathie et répondent à ceux qui essayent de les en tirer :

— Bah ! à quoi sert de défricher la terre, d’exploiter la mer ou de se créer de nouvelles occupations ? Nettoyons, allumons, éteignons notre phare aux heures réglementaires, et pendant que vogue ainsi la galère, croisons-nous les bras. Notre salaire n’est-il pas gagné ? Gardons-nous bien surtout de faire valoir ce qui nous entoure et qui n’est à personne. Ce serait travailler pour son successeur ; et la vie est trop courte pour s’amuser ainsi.

M. Pope a cru devoir prendre un autre genre d’égoïsme. Sa lumière est en ordre, ainsi que