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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

nait bredouille ; et plus sa chasse ou sa pêche avait été abondante, plus ses voisins et ses amis, les pauvres, s’en ressentaient. Alors fourrures précieuses, morceaux de venaison, grosses pièces, truites monstrueuses, tout passait entre les mains de cet homme, qui se souciait fort peu, en ce temps-là, de savoir ce que sa gauche ou sa droite faisaient.

Le soir au coin du feu, maints trappeurs racontent encore les histoires merveilleuses de ce pêcheur habile et de ce chasseur adroit ; mais nulle à mon avis ne vaut celle de l’ours tué au vol.

Têtu avait ouï-dire qu’une baleine morte était venue atterrir à quelques lieues de son habitation. En homme qui sait profiter du vieux dicton — aide-toi, le ciel t’aidera — il part, accompagné de Crispin, son domestique, bien décidés tous deux à tirer du cétacé toute l’huile qu’il pourrait rendre. La nuit tombait lorsqu’ils arrivèrent au lieu de l’échouage ; et comme avant de camper, Têtu tenait à être renseigné sur la valeur de l’épave, les chasseurs se dirigèrent du côté de la baleine. Ils avaient été devancés par des rôdeurs de grève encore plus alertes qu’eux : et deux ours noirs s’en donnaient à cœur joie, le museau plongé dans les flancs du monstre, mangeant comme deux clercs échappés de carême, et ne s’interrompant de fois à autre que pour respirer longuement, et pour lécher leurs babines toutes ruisselantes de lard.

Le domestique de Têtu était devenu pratique au contact de ce maître.

— M. David, lui dit-il doucement, en glissant une balle dans son fusil, permettez-moi de tirer