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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

le meilleur temps pour prendre en mer le coup d’appétit, lorsque Raphaël vint mettre tout le monde d’accord en sonnant vigoureusement la cloche, et clerc médecin, hommes de lettres, gardiens de phare, fils de famille et gamin disparurent en un clin d’œil du pont, pour aller se mettre en rang d’ognons autour de la table hospitalière du Napoléon III.

Je n’ai pas besoin de dire que ce premier dîner fut assez silencieux. Chacun étudiait la physionomie de son voisin ; mais Agénor, qui n’y allait jamais par quatre chemins, et avait déjà la velléité de tutoyer le capitaine, eut bien vite fait circuler parmi les convives cette gaîté chaude et pétillante qui ne cessa de régner entre nous, aux jours de pluie comme aux jours de soleil. C’était une singulière tête que cet Agénor Gravel, et puisque son nom reviendra souvent sur mes lèvres pendant le récit de ce voyage, j’aime autant vous faire son portrait tout de suite.

Assez grand, large d’épaules, borgne sans le laisser voir le moins du monde, causeur jovial et bon enfant lorsqu’on lui demandait un service ou une anecdote, saupoudrant le moindre récit d’une légère pointe d’exagération gasconne, ce qui n’était pas désagréable, triste comme un saule pleureur dès qu’il approchait une plume de l’encrier, Agénor avait été une foule de choses pendant le cours de sa vie aventureuse. Tour à tour avocat, zouave pontifical, homme de lettres, journaliste, naturaliste, collectionneur, bibliophile, ce nouveau Vichnou avait tout juste conservé de ses différentes incarnations ce qu’il fallait pour véritablement constituer ce qu’on appelle un bon garçon, trois mots dont on fait de nos jours un usage immodéré, et que l’on applique