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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

épaves arrachées à la tempête, et qui flambent tristement dans l’immense âtre en pierre de la cuisine de la tour.

Notre interlocuteur, M. Gagnier, était un des privilégiés de la bande. Il desservait un phare confortable, spacieux, et lui du moins, pouvait chausser ses raquettes, ou s’acheminer le long des sentiers battus par les ours et les fauves, pour visiter ses voisins et échapper ainsi, cinq ou six fois l’an, au terrible supplice de l’isolement.

— Ah ! monsieur, disait-il à Agénor, si vous saviez comme la solitude et le silence amènent l’homme à être serviable et à aimer son semblable. Mon plus proche voisin fit un jour trente-cinq milles à pied pour venir m’apporter une lettre. D’ailleurs, ajouta-t-il en clignant de l’œil, c’était un rude jarret que celui de mon compère James. Dans un temps de disette il fut onze jours sans pouvoir fumer. Enfin n’y tenant plus, il part, enjambe dix-huit milles par une pluie battante, et me tombe dessus au moment où j’allais souper. Je veux le forcer à passer des habits secs, et à boire un bon verre de rhum. Le rhum, il l’avala sans se faire prier ; mais pour ce qui est des hardes et du souper, il fit la sourde oreille, et se mit à battre le briquet et à fumer avec tant d’appétit, qu’une demi-heure après, il était malade, comme un écolier qui a voulu faire l’homme et s’est imbibé de nicotine. Pauvre James ! il devait mourir plus tard d’une maladie bien pire que celle-là, et en attendant ce fut lui qui entra l’un des premiers dans la maison de Gamache et le trouva mort, étendu de tout son long sur le plancher, et la main crispée sur l’anse d’une cruche de whiskey.

— Comment Gamache, l’homme aux relations