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LES ÎLES DANS

courait toujours sur l’aile de la tourmente. Tout-à-coup un craquement terrible se fait entendre ; ces malheureux — à l’exception de dix — viennent de s’abîmer sur les îles Canso, et bientôt mon oreille navrée n’est plus frappée que par la voix forte du P. Noyrot qui, entraîné par un énorme paquet de mer, psalmodie fermement :

In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum.

Puis la vague suivante me montre à la hauteur de Louisbourg, le Chameau, « grande et belle flûte du roi, commandée par M. de Voutron. » Naguère partie joyeuse des côtes de France, elle se trouvait maintenant en pleine perdition. Des ecclésiastiques, de brillants officiers, des dames, un gouverneur des Trois-Rivières, M. de Louvigny, un intendant habile, M. de Chazel, venu pour remplacer M. Bégon, des soldats, des marins, des paysans se trouvent à bord. Mais que sont le rang, la puissance, la jeunesse, la beauté, l’habileté, la science, la force et le courage, devant le moindre des sauvages caprices de l’océan ? Un simple soulèvement de sa vaste poitrine, a suffi pour précipiter corps et biens la frégate du roi au fond de l’abîme.

Chaque flot qui passait ainsi devant moi, avait sa lugubre histoire. L’un, engloutissait la frégate anglaise, le Nassau ; démâtait et dispersait la flotte de l’amiral Holburn. L’autre, roulait des cadavres inconnus, des épaves oubliées, des navires sans noms. Un troisième plus aristocratique, ne voulait servir de suaire qu’aux naufragés de l’Auguste. Il courait porter sur la grève désolée les dépouilles de messeigneurs de Varennes, de Portneuf, de la Ve-