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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

Pendant que madame Côté trottinait et donnait des ordres pour nous faire servir une collation froide, Agénor et sa bruyante compagnie s’étaient emparés de l’harmonium placé dans le petit salon qui fait face à la mer, et entonnaient l’In exitu Israël de leur plus belle voix de mélomanes. Quant au maître de céans il ne flânait guère, non plus ; et sous son œil vigilant, pots, verres bols et carafons s’alignaient ainsi, sans vergogne sur table et commodes, défiant à qui mieux mieux la proverbiale sobriété de notre capitaine. Ce fut alors qu’un de nos officiers mis en belle humeur par toutes ces bonnes choses, se prit à nous raconter sur la famille Côté un trait d’héroïsme qui mérite d’être connu.

Chaque année, du premier avril au vingt décembre, le phare de l’Île-aux-Œufs doit être allumé. Du côté de la mer il offre une lumière blanche, tournante, visible à quinze milles, et qui donne un éclat chaque minute et demie. Tous les marins savent si la rotation d’un phare à feu changeant doit se faire avec une précision mathématique. Autrement, il peut y avoir erreur. Une lumière est prise pour une autre, et un sinistre devient alors la fatale conséquence du moindre retard apporté dans le fonctionnement de la machine. Or, une nuit vers la fin de l’automne de 1872, le pivot de la roue de communication de mouvement qui s’abaisse, de manière à ce que les roues d’angle engrènent convenablement, se cassa. La saison était trop avancée pour faire parvenir la nouvelle à Québec et demander du secours au ministère de la marine. Force fut donc de remplacer la mécanique par l’énergie humaine, et le gardien, aidé par sa famille, se dévoua. Pendant cinq semaines, cet automne-là, et cinq semaines au printemps suivant,