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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/60

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LES ÎLES DANS

Pendant que nous prenions nos ébats à la cour de Barthélémy I, le temps était devenu aussi maussade que la figure d’un ministre en train de remettre son portefeuille. Un rideau de brume courait sur la mer. Nous nous embarquâmes avant qu’il eût eu le temps de nous masquer le Napoléon III, et bientôt nous dormions tranquillement sur nos ancres, bercés au bruit des rafales qui s’engouffraient le long des îlots mornes et déserts qui bouchent l’entrée de la baie.

À quelques encablures était mouillée une goëlette américaine, arrivée de la veille. La tempête l’avait forcée à venir chercher un refuge aux Sept-Îles, et dans le courant de l’après-midi, une embarcation se détacha de son arrière et se dirigea vers notre steamer. Elle était montée par le capitaine Johnson et cinq matelots américains, au nez en poinçon à la tête osseuse et énergique, aux épaules athlétiques et à la chique monstrueuse. Partis de Gloucester depuis deux mois, ils faisaient la pêche au flétan, et trente mille livres de cet excellent poisson étaient déjà entassées dans la cale de leur bâtiment. L’équipage de ces goëletons de pêche est payé à la part : en moyenne, chaque homme gagne ainsi de cinquante à soixante piastres par mois, et cela pendant toute l’année, car pour eux la morte-saison n’existe pas, puisque l’hiver ils s’en vont prendre la morue sur les bancs de Terreneuve. En quatre jours, l’année précédente, notre hôte avait eu la chance d’emmagasiner à son bord 32,000 livres de ce dernier poisson.

Ces pêches miraculeuses se renouvellent souvent, et cet américain nous raconta qu’un de ses amis, le capitaine O’Brien de la goëlette l’Ossipee