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Il y a une question bien ancienne et qui s’est reproduite à de longs intervalles sous des formes bien diverses ; celle de savoir comment accorder ensemble la liberté de l’homme et la toute-puissance de Dieu : la liberté de l’homme qui, à son gré, peut faire certaines actions ou s’en abstenir ; la toute puissance de Dieu qui, en vertu de sa prescience infinie, semble avoir décidé par avance tout ce qui s’accomplira dans le cours des siècles, depuis les révolutions des empires jusqu’à l’acte le plus obscur de la plus humble créature. Telle est, dans son expression la plus haute, la question qui s’agitait, au milieu du XVIIe siècle, entre les partisans de Jansénius et ceux du jésuite Molina, sous le nom de grâce efficace et de grâce suffisante. On n’était pas d’accord sur l’étendue de la coopération divine dans les actions de l’homme, chacun faisant plus grande ou plus petite, suivant son système, la part du libre arbitre, ou celle de la grâce, c’est-à-dire du pouvoir divin opérant dans l’homme.

L’on ne s’étonnera pas si nous reproduisons ici les termes d’une controverse qui n’est plus de notre âge, qui a passé comme les jansénistes et les jésuites ont passé. L’esprit humain ne se passionne pas aussi longtemps pour des illusions : des intelligences comme celles de saint Augustin, saint Thomas, Luther, Arnauld, Pascal et Bossuet, n’agitaient pas des chimères lorsqu’ils traitaient la question de la grâce. Sous cette discussion entre la grâce efficace et la grâce suffisante, qui n’obtient de nous qu’un sourire, se cache le problème de la responsabilité morale imputable à chacun en proportion de sa raison et de son libre arbitre, problème qui touche aux racines mêmes de toute législation pénale et aux fondements des sociétés.