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ART
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— « L’art le plus innocent tient de la perfidie » (Voltaire).

— « Je sais l’art de traire les hommes » (Molière).

— « Le grand art de l’homme fin est de ne le point paraître ; où est l’apparence de la finesse, l’effet n’y est plus. » Cette phrase de Montaigne explique cette expression proverbiale : « L’art est de cacher l’art. »

Voici encore quelques emplois plus ou moins justifiés du mot art :

Les arts d’agrément sont les beaux-arts considérés comme des amusements et des moyens de plaire et d’être agréable. Ils ne sont, le plus souvent, que de la niaiserie et la parodie de l’art.

« Chez un peuple frivole, les bonnes études ne mènent à rien ; avec les arts d’agrément, on arrive à tout » (Diderot).

L’art sacerdotal ou art sacré, était la science magique des Égyptiens, appelée depuis philosophie hermétique.

Grand art : pratiques des alchimistes.

Art notoire : moyen par lequel certains prétendent acquérir toutes les sciences par le jeûne et l’observation de certaines règles. Salomon aurait été son inventeur.

Art angélique ou art des esprits, qui permettait, disait-on au moyen-âge, de se mettre en rapport avec un ange ou un démon pour apprendre ce qu’on voulait connaître.

Art de Saint-Anselme : guérison des plaies en touchant, au cours de certaines cérémonies, les linges qui devaient les envelopper.



L’histoire de l’art est celle de la civilisation. L’art est étroitement lié à la vie de l’humanité. Il est une de ses formes et, avec les autres, il avance, il s’arrête ou il recule.

Le premier art de l’individu, homme ou animal, a été d’assurer son existence, de se nourrir, de se préserver contre les intempéries et de se défendre contre les dangers. Pour cela, il regarda autour de lui, s’efforçant de discerner ce qui pouvait lui être utile ou nuisible. Ainsi, « l’art est né de l’observation de la nature » (Cicéron). Lorsqu’il eut trouvé l’utile et qu’il eut des loisirs, l’individu pensa à l’agréable, que la même observation lui montra dans son environnement.

Aux temps primitifs, l’homme et l’animal étaient tout près l’un de l’autre. Ils avaient des rapports de solidarité plus étroits, avec plus d’égalité, qu’aujourd’hui. C’était « le temps que les bêtes parlaient », et les hommes les comprenaient. Ce temps est certainement l’origine des fables et des contes d’animaux qui sont la forme la plus ancienne, et ont été longtemps la plus populaire, de la littérature. Orphée, « le bon berger », eut une telle place dans cette popularité que le christianisme en a adopté la légende.

L’exemple de l’animal servit souvent à l’homme pour découvrir toutes les variétés de nourritures : racines, fruits, animaux de la terre et des eaux, pour s’en emparer et pour les emmagasiner en prévision des temps de disette. L’animal apprit aussi à l’homme à s’abriter dans des cavernes, puis dans des constructions plus confortables. Les villages de certains insectes lui donnèrent l’idée d’une architecture bien supérieure à celle qu’il avait su trouver. En plusieurs régions, l’agriculture lui fut enseignée par les fourmis. L’oiseau construisant son nid, l’araignée faisant sa toile, lui révélèrent le tissage. En suivant les pistes des animaux, il prit le goût des explorations et découvrit de l’eau dans le désert. Le vol des oiseaux lui indiqua les cols pour le passage des montagnes et, sur la mer, le détroit le moins large ou l’île qu’il ne voyait pas du rivage. En même temps que l’utile, l’animal enseignait l’agréable à l’homme par l’exemple des jeux. Il lui communiquait « le sens de la beauté et, plus encore,

celui de la création poétique… Aurait-il pu oublier l’alouette qui s’élance droit dans le ciel en poussant des appels de joie, ou bien le rossignol qui, pendant les nuits d’amour, emplit le bois sonore de ses modulations ardentes ou mélancoliques ? » (Élisée Reclus). Le gorille frappant sur une calebasse lui apprit le rythme. Imitant l’animal, l’homme se livrait aux premières manifestations de l’art proprement dit, apprenant les danses ou pantomimes, les attitudes rythmées, les accompagnant de la cadence des instruments et du son de sa voix.

L’architecture, qui est avant tout l’art de construire des demeures, fut aussi une des premières manifestations de l’art proprement dit. Plus utilitaire qu’esthétique, elle eut, du moins, dans ses débuts, cette beauté qui manque si souvent aux monuments d’aujourd’hui : l’harmonie avec le milieu. Les grottes des troglodytes avaient des commodités souvent bien supérieures à celles des taudis où sont entassées, de nos jours, les populations citadines.

Le dessin et les arts qui en dépendent, naquirent du désir de reproduire des formes, des mouvements qui avaient frappé l’homme. Avec un silex, il dessina, puis grava sur la pierre ou sculpta sur son arme, les sujets dont il avait gardé la mémoire. Ayant découvert des couleurs, l’ocre rouge ou jaune, le jus épais de certains fruits, il s’en servit pour peindre les mêmes sujets sur les parois unies des rochers. Dessin et peinture furent les premiers modes de l’écriture. Ils servirent pour les communications qui ne pouvaient être faites verbalement à d’autres hommes éloignés, et pour transmettre à la postérité le souvenir des faits du temps. La découverte de ces inscriptions dessinées et peintes, et des écritures laissées par les différents peuples, a permis d’établir la véritable histoire de l’humanité en face des théories empiriques qui prévalurent si longtemps.

L’usage du dessin et de la couleur inspira l’idée de la décoration au moyen des lignes, droites ou courbes, simples ou entrecroisées, et de figures peintes. La construction s’orna de traits et de couleurs qui lui donnèrent, comme à certaines huttes de primitifs océaniens, une grâce qu’on rencontre trop rarement dans les décorations d’aujourd’hui.

C’est par la sensibilité musicale que les hommes et les animaux se sont toujours le plus rapprochés psychologiquement. Ne pouvant imiter avec sa voix toutes les merveilles du chant des oiseaux, l’homme chercha des instruments rendant l’imitation aussi variée que possible. Il ne trouva d’abord que le sifflet, seul instrument découvert dans les grottes primitives. Depuis, il ne cessa de rechercher d’autres instruments pour multiplier l’expression de la musique que Platon appelait « l’éducatrice de l’âme » et qui tint tant de place dans la vie antique. Longtemps, le chant accompagna le travail. Aujourd’hui, le bruit des machines l’a fait taire et le taylorisme en a supprimé le loisir et le goût. On chantait aussi pour apaiser la souffrance des patients soumis à des opérations, ou la douleur de ceux qui avaient perdu un être cher. On chantait pour dire sa joie comme sa peine et souvent la musique fit cesser les querelles, calma les haines, car elle fut, de tout temps, le moyen le plus souverain d’exprimer les sentiments et d’évoquer l’idéal humain.

L’art de la parure, qui répond plus particulièrement au besoin de briller et de plaire, s’est aussi manifesté de bonne heure chez l’homme. Là encore, l’exemple lui fut donné par l’animal, « oiseau, reptile ou quadrupède, qui se fait beau par des plumes ou des couleurs brillantes pendant la période de l’amour » (É. Reclus). Avant de briller et de plaire par le vêtement, l’homme rechercha ces effets en se peignant le corps, en se tatouant, en plaçant dans ses cheveux ou en suspendant à son cou, à ses oreilles, voire à son nez, des orne-