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à d’autres termes et expressions. Or, ce n’est nullement le cas. Au contraire, à force d’être employé à tort et à travers, le mot Autorité a perdu tout sens défini, s’il en a jamais eu un.

Il est donc impossible, aujourd’hui, de répondre d’une façon générale à la question : Qu’est-ce que l’Autorité ? Pour obtenir une idée plus ou moins nette de cette notion, pour définir clairement notre attitude vis-à-vis de ce phénomène, il faut procéder à une analyse séparée des différentes applications du mot.

1. L’autorité de Dieu. — À notre époque, il n’est plus possible de parler de l’autorité de Dieu, qui se manifesterait de façon directe. Les bons vieux temps où Jéhovah aurait dicté sa volonté de vive voix à Moïse, les temps plus rapprochés où, par exemple, quelques saints soufflaient les désirs du bon Dieu national à Jeanne d’Arc, sont irrévocablement passés. Dieu ne parle plus aux hommes. Ce n’est plus lui, c’est l’Église qui, actuellement, s’occupe sur la terre des affaires des cieux. C’est donc de l’autorité de l’Église que nous pouvons parler de façon concrète.

Qu’est-ce que cette autorité, et quelle peut être notre attitude envers elle ?

2. L’autorité de l’Église (indirectement, celle de Dieu). — Elle peut s’exercer de deux façons : 1o concrètement, c’est-à-dire, usant de moyens réels, « physiques », pour se faire obéir, punissant corporellement ceux qui lui désobéissent ; 2o platoniquement, c’est-à-dire n’usant que de moyens spirituels, « moraux », d’influence, de contrainte ou de répression.

Quant à la première manière, elle a fait suffisamment ses preuves depuis le xiiie jusqu’au xixe siècle. Il serait superflu, aujourd’hui, d’insister sur les horreurs de cette autorité, la plus cruelle, la plus exécrable de toutes. La fameuse Inquisition fut son expression vivante. Comme autorité réelle, l’Église s’est déshonorée à jamais, ceci non seulement dans les pays classiques de l’Inquisition, mais, de façon différente, dans tous les pays du monde. Actuellement, elle n’exerce nulle part aucune autorité « matérielle ». Non seulement les libres-penseurs et les athées de tout genre lui échappent, mais l’humanité tout entière n’en veut plus.

Quant à l’autorité « morale » de l’Église, qui existe encore pour pas mal de gens, elle serait, certes, une chose relativement inoffensive, si toutefois elle n’était pas étroitement liée à la pire réaction générale, aux forfaits les plus abominables des autorités de tous temps et de toute espèce, aux systèmes d’esclavage de toutes les époques, à la plus néfaste dépression intellectuelle et, précisément, morale des humains.

L’Église, avec son autorité spirituelle, a été de tous temps, et reste encore de nos jours, le soutien le plus précieux de tous ceux qui dominent, qui oppriment, qui étouffent, qui exploitent. Elle se rangeait toujours du côté des « forts », ce qui permettait à ses princes de jouir des biens de ce monde, en réservant aux « faibles » la jouissance de ceux du monde futur. Elle sanctionnait, elle bénissait, elle appuyait invariablement de son « autorité morale » les régimes politiques les plus abjects, les crimes « légaux » les plus horribles : guerres, massacres, assassinats… L’Histoire humaine abonde de faits de ce genre.

Les époques les plus sombres de l’Histoire furent précisément celles où tout pliait sous la lourde autorité de l’Église. Au contraire, les périodes où l’humanité faisait quelques grands pas en avant au point de vue culture, progrès général, justice, innovation, mœurs, science, art, etc., coïncidaient avec les moments d’une lutte morale active contre l’Église, contre son autorité mortifère.

Le pire de tout est que cette autorité est entièrement basée sur le mensonge, sur l’hypocrisie, sur l’imposture la plus écœurante qui puisse exister. Ce ne sont que

l’ignorance profonde des masses et les restes des superstitions des temps passés, qui permettent encore aux millions de gens de ne pas s’en rendre compte. Se cramponnant justement à cette ignorance et à ses restes, l’Église les soutient, les favorise, les éternise.

La conclusion est tout indiquée : l’autorité spirituelle de l’Église est une des plus néfastes pour le progrès humain. Elle est un des obstacles les plus sérieux au développement moral de l’humanité, à l’affranchissement des millions d’êtres-esclaves qui souffrent et périssent sous le joug des jouisseurs de toute espèce, appuyés considérablement par cette autorité. Son existence au xxe siècle est une honte. Non seulement les anarchistes, mais tout homme d’esprit plus ou moins sain, juste et franc a le devoir de lutter activement contre ce genre d’autorité. On ne peut pas, comme certains le pensent, rester neutres vis-à-vis de cette plaie. Car il faut arracher, le plus rapidement possible, les millions d’êtres trompés et abrutis par cette autorité malfaisante, une des causes principales de leur asservissement. (Voir : Église, Religion.)

3. L’autorité de la Loi. — Plus exactement, l’autorité de ceux qui établissent les lois, les font appliquer, qui surveillent leur application et punissent les infractions. (Quant à la Loi comme telle, on s’adressera au mot correspondant.) Les porteurs formels de cette autorité sont les personnes et institutions chargées de son exercice. Ses porteurs réels sont ceux qui ont le « droit », la faculté, la possibilité et la puissance matérielle de créer les lois, de les imposer, de les faire appliquer, de faire surveiller leur exécution, de faire punir leur inexécution. — Quand on dit : autorité suprême, autorité publique, civile, militaire, etc., on y suppose, en premier lieu, les personnes et institutions qui sont les porteurs formels de l’autorité, et en second lieu, ceux qui, de « droit » ou de force, détiennent la faculté réelle de créer les lois, de les faire appliquer, et ainsi de suite. C’est de leur autorité qu’il s’agit en réalité. — L’autorité du Chef qui, en cette qualité, est supposé comme agissant conformément aux lois, a la même base générale. — Nous pouvons, par conséquent, réunir toutes ces notions séparées en une seule plus vaste : autorité publique ou administrative. En généralisant et en précisant encore, nous pouvons désigner ce genre d’autorité comme autorité sociale (et laïque, par opposition à l’autorité religieuse que nous venons de traiter).

Le grand problème de l’Autorité sociale est celui qui, ici, nous intéresse le plus. Il est le point capital, le noyau même de la pensée, de la conception anarchiste (ce qui veut dire justement antiautoritaire). Ce sont les deux solutions opposées de ce problème capital, qui, précisément, divisent l’idée émancipatrice en deux courants fondamentaux, et les masses travailleuses en deux camps ennemis.

Le problème se confondant intimement avec celui de l’État, du Pouvoir, du Gouvernement, de l’Administration, de la Bureaucratie, de la Société, des Classes, il faut voir tous ces mots. C’est surtout au mot État qu’il est traité à fond. (Voir aussi : Anarchie, Anarchisme, Marxisme, Bolchevisme, etc.).

C’est au mot État également qu’on traite la question des origines et des raisons du développement ultérieur de l’autorité sociale.

Ici, nous la prenons comme chose donnée, et nous nous bornons à exposer l’essentiel du problème tel qu’il se pose dans notre actualité.

Le premier trait caractéristique de l’Autorité sociale, telle que nous la connaissons depuis des siècles, est la contrainte : 1o  d’accomplir ; 2o  de ne pas accomplir ; et 3o  d’accomplir de la façon prescrite tels ou tels autres actes ou gestes.

Son second trait typique est que le prétendu « droit »