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le Corporatisme, reste encore fortement attaché au passé.

Il faut cependant distinguer entre les corporations du Moyen-Age et les syndicats professionnels d’aujourd’hui, comme il convient d’établir entre les corporations d’autrefois et celles qui sont chères à M. Georges Valois et à ses amis, partisans des États Généraux, de notables différences.

Les anciennes corporations prirent naissance en France vers l’an 1300. La première qui se constitua fut celle des Marchands de Paris. Elle se donna un chef, véritable puissance, qui était chargé de défendre les intérêts de la corporation des marchands. Ce chef prenait le nom de Prévôt des marchands. Le plus célèbre fut Étienne Marcel, dont la statue s’élève à Paris, à côté de l’Hôtel de Ville. Les marchands étaient en quelque sorte, les maîtres de la Cité et Étienne Marcel le vrai maire de Paris.

Il joua d’ailleurs un rôle extrêmement important aux États Généraux de 1355 et obligea la royauté à établir une Charte libérale qui marque dans l’histoire.

Les corporations restent toutes puissantes pendant toute la période de 1355 à 1789. Jugées comme une entrave au progrès par la Constituante, elles furent définitivement supprimées en 1791, après que Turgot en eût lui-même ordonné la suspension quelques années plus tôt. Là s’arrête l’histoire des vieilles corporations.

Sous l’ancien régime, les corporations étaient des associations d’individus exerçant la même profession dans une même localité. Les membres étaient liés entre eux par des droits et des devoirs. L’entrée dans la corporation était difficile. En fait, bien qu’elle groupât tous les individus qui exerçaient un même métier : apprentis, compagnons et maîtres, seuls ces derniers dirigeaient la corporation.

Les maîtres formaient entre eux, la maîtrise qui gouvernait le métier. Ils avaient faculté de transmettre leurs pouvoirs à une jurande, sorte de Conseil de maîtrise qui avait charge de défendre les intérêts de la corporation.

On entrait dans la Corporation par tradition, de père en fils, en qualité d’apprenti. On n’accédait au titre de Compagnon qu’après un stage de plusieurs années et avoir subi un certain nombre d’épreuves dont le compagnonnage, aujourd’hui presque disparu, avait conservé les coutumes peu intéressantes, pour ne pas dire plus.

Enfin et par exception, sauf par héritage ou mariage, le compagnon devenait maître après avoir accompli un chef-d’œuvre, c’est-à-dire après avoir prouvé ses capacités professionnelles en réalisant un travail professionnel délicat.

L’esprit des Corporations était nettement conservateur. Ce n’est qu’après de longs et patients efforts par exemple, que Jacquard réussit à faire comprendre l’utilité du métier à tisser et pourtant les corporations de cette époque (1820) étaient singulièrement plus évoluées que celles du moyen-âge.

La Corporation permettait aussi une exploitation sans limite des travailleurs : apprentis et compagnons. Lyon fut à différentes reprises, le théâtre de luttes terribles entre maîtres et compagnons.

En entrant dans une Corporation, l’individu s’engageait a ne jamais changer de métier. Il était rivé à son métier comme l’esclave à sa chaîne et il ne différait guère de ce dernier.

Si les corporations disparurent officiellement en 1791, leur esprit ne cessa pas de prédominer jusqu’en 1848.

Il fallut que le socialisme fît sa première apparition pour que se modifiassent un peu les aspects de ce mouvement particulier. Ce sont bien, en fait de véritables corporations qui subsistent jusqu’à la naissance de la première Internationale.

Leur esprit ne continue pas moins à se manifester et

le mouvement syndical lorsqu’il s’éveillera vers 1875 et s’affirmera déjà puissant sans être légal quoique toléré, en 1879, sera dominé, lui aussi, par l’esprit conservateur que lui léguèrent les corporations d’autrefois.

La législation du mouvement syndical en 1884, sa formation en syndicats de métier lui conservent son caractère jusqu’aux environs de 1896 et on peut dire qu’il ne s’évadera réellement de ce cadre exclusivement corporatif qu’avec l’apparition des Bourses du Travail en 1892.

C’est de 1902 à 1906, que le corporatisme et le syndicat professionnel limité à ce rôle subalterne, seront de plus en plus rejetés dans l’ombre pour faire place au syndicalisme social et de lutte de classe.

Néanmoins en dépit des efforts des militants, le vieil esprit des corporations subsiste encore de nos jours. La besogne à accomplir pour le détruire reste considérable.

En effet, de divers côtés, on cherche à faire revivre les corporations supprimées par la loi Lechapelier.

Tandis que M. Duguit veut créer un vaste système de fédéralisme professionnel qui doit trouver son aboutissant dans la constitution d’un parlement professionnel qui doit, selon M. Duguit être le « contre-poids nécessaire à l’action étatique du Parlement politique », MM. Georges Valois, Eugène Mathon et Latour du Pin, théoriciens ou praticiens du syndicalisme royaliste ou conservateur, veulent, à l’instar de Mussolini et de Rossoni en Italie, instituer des corporations sociales et des corporations économiques sur des bases qui ne sont pas très éloignées des corporations fascistes en Italie.

« Il faut, disait Mathon à une réunion de notables qui s’est tenue à Paris, le 18 octobre 1923, instituer une représentation des intérêts professionnels et créer sur cette base un organe consultatif qui éclairera les pouvoirs publics dans l’examen des problèmes techniques. De la sorte, les intérêts particuliers cèderont le pas aux intérêts généraux. Mais la représentation des intérêts suppose une organisation de ces intérêts. Ils devront donc être coordonnés, et la pierre angulaire du système sera la Corporation.

Et M. Mathon, qui est, ne l’oublions pas, le Président du Comité Central de la Laine, définit ainsi qu’il suit le rôle et le caractère des corporations.

Dans celles-ci entreront — et obligatoirement — tous ceux qui ont des intérêts professionnels communs : la corporation de métier groupera donc à la fois : le patron, le technicien et les ouvriers. A sept siècles de distance c’est le vieil esprit qui revient.

Suivant ce magnat de l’industrie, la corporation revêtira deux aspects très nets : l’aspect social et l’aspect économique, c’est la particularité essentielle de sa thèse.

La corporation sociale sera caractérisée par une collaboration étroite entre les patrons et les ouvriers qui auront des délégués respectifs au Conseil corporatif. Elle étudiera les questions de salaire, de main-d’œuvre, d’apprentissage. Elle aura un patrimoine indivisible qui, appartenant à tous ses membres, les incitera à développer sa prospérité. Les conflits possibles entre patrons et ouvriers seront déférés à des juridictions corporatives. Tout patron dont le tort sera reconnu pourra être frappé d’interdit par la corporation qui assurera aux ouvriers la continuation du paiement de leurs salaires.

À l’inverse, un patron dont les ouvriers auront déclaré la grève sans motifs valables sera soutenu par la corporation, qui protégera son industrie, se préoccupera de ses commandes en cours, etc…

2° Autre sera le rôle de la corporation économique qui sera exclusivement dirigée par le patronat, car c’est lui qui possède les entreprises et assume la responsabilité de leur gestion.