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En résumé, dit M. Mathon, nous voulons faire revivre la corporation et nous croyons que c’est elle qui pourra résoudre à la fois les difficultés d’ordre économique sous la direction exclusive des chefs et les difficultés d’ordre social par la collaboration des patrons et des ouvriers.

La corporation économique nommera un « Conseil économique », qui s’occupera des intérêts généraux professionnels, veillera au respect de la discipline corporative. Ce Conseil pourra même légiférer au sein de la corporation. Il déterminera les conditions de la production, des prix de revient, etc… Il pourra imposer ses membres suivant un taux qu’il fixera.

Les pouvoirs de la corporation seront limités par ceux des autres corporations. Il y aura des corporations de consommateurs qui assureront une représentation de la famille. Cette pression du consommateur fera disparaître la spéculation illicite, les coalitions, etc…

Des tribunaux intercorporatifs jugeront les litiges éventuels entre corporations. L’État n’interviendra que le moins possible dans cette organisation. Il en sera seulement le tuteur, l’arbitre.

Et voici la caractéristique essentielle du système. Au-dessus de la corporation locale sera instituée une corporation régionale qui représentera les intérêts dont elle a la charge auprès des États provinciaux. Au-dessus encore, il est prévu une corporation nationale qui agira de même aux États-Généraux.

Dans ces États, les grands problèmes économiques seront discutés par des gens compétents qui soumettront leurs projets aux pouvoirs publics, ayant seuls qualité pour homologuer.

D’autre part, l’État devra constituer un Ministère de « l’Économie nationale », organisé sur le plan même des corporations. Il déléguera un représentant au Conseil Économique de chaque corporation et son chef sera permanent.

Par là une impulsion efficace pourra être donnée à la production. L’État pourra concéder à des corporations diverses certaines gestions qu’il assume mal. Il arbitrera les conflits d’intérêts, sauf appel devant la Cour suprême inamovible.

Tel est l’habile système que préconisent le haut patronat conservateur et les théoriciens d’Action française.

Il n’est pas difficile de comprendre à quoi doit mener une résurrection des corporations envisagées sur ces bases nouvelles. C’est le renforcement de l’autorité et l’installation d’un dictateur qui, dans l’esprit des auteurs de ce plan, doit être un roi.

Quelle que soit le caractère et le titre de ce dictateur, ce qui importe c’est la menace que représente une telle conception qui a pour aboutissant la consécration définitive des privilèges du patronat de droit divin.

Aussi, a-t-on le droit de s’étonner lorsqu’on voit de bons camarades s’engager inconsidérément dans la voie de ce retour à la corporation par le développement intempestif de l’esprit corporatiste…

Le salut consiste dans une organisation aussi scientifique que possible du prolétariat sur les bases industrielles et tous les efforts doivent tendre à obtenir ce résultat au plus tôt, si l’on ne veut être finalement distancé par un adversaire redoutable et agissant.

C’est ce que nous examinerons lorsque nous analyserons le syndicalisme et sa structure. — Pierre Besnard.


CORPORATISME. n. m. Esprit particulier qui découle de l’exercice d’une profession déterminée. Le Corporatisme devient souvent même chez certains individus évolués ou qui se prétendent tels, une sorte d’orgueil qui les fait considérer leur profession comme supérieure à toute autre et s’estimer eux-mêmes au-dessus des autres travailleurs.

Cet esprit est une survivance des vieilles corporations d’autrefois. De nos jours, nombreux sont encore les « ouvriers qualifiés », les « compagnons » qui s’imaginent être supérieurs socialement, intellectuellement, aux « manœuvres », aux « ouvriers spécialisés » et cela dans tous les pays.

Le corporatisme n’est autre chose, en somme, que « l’esprit de corps » ouvrier.

De même que l’esprit des corps militaires oppose les uns aux autres fantassins et cavaliers, l’esprit corporatiste oppose, dans les mêmes conditions, les ouvriers aux autres ouvriers.

Le Corporatisme, comme « l’esprit de corps » est savamment entretenu par les gouvernants et les patrons.

Dresser les travailleurs d’une profession contre ceux d’une autre, opposer dans une même profession, les prolétaires exerçant des métiers différents, compartimenter le métier en spécialités dont les éléments travailleurs se jalouseront, c’est la tactique préférée du patronat.

Il faut d’ailleurs reconnaître que, jusqu’à maintenant, elle a presque toujours réussi, en dépit de tous nos efforts pour faire comprendre aux ouvriers que, socialement, ils sont tous égaux, qu’ils sont au même titre, chacun dans leur métier, dans leur profession, indispensables à l’exercice de la vie sociale.

Faire comprendre à tous qu’il n’y a pas de profession privilégiée, que les intérêts généraux de tous les ouvriers sont semblables, voilà le grand but à atteindre, le premier que doit se donner comme objectif constant toute la propagande syndicale et sociale.

Le jour où l’électricien, le maçon, le dessinateur, le vidangeur, le cheminot, le métallurgiste, etc., auront compris cela, le corporatisme, dans ce qu’il a de mauvais, de nuisible, de conservateur, de rétrograde, de déformant, aura vécu, Ce jour-là l’unité morale du prolétariat sera réalisée. Et les barrières corporatives étant brisées, le patronat sera aussitôt, par voie de conséquence, privé de l’un de ses moyens de pression et d’action peut être le plus puissant, le plus efficace.

On peut donc dire que le corporatisme s’oppose, et fortement, à révolution sociale du mouvement ouvrier. Il est assez paradoxal d’ailleurs que des ouvriers, qui se déclarent eux-mêmes syndicalistes révolutionnaires, œuvrent en ce moment, et de toutes leurs forces, pour faire revivre le corporatisme plus intensément que jamais.

Ils devraient s’apercevoir qu’en agissant ainsi, ils fournissent à nouveau au capitalisme une arme qu’avaient émoussée trente années de propagande intelligente et constante.

Le développement du corporatisme, de l’esprit égoïste qui se dégage de sa pratique est néfaste au-delà de tout ce qu’on peut imaginer.

C’est au nom des intérêts corporatistes qu’on défend, dans certaines professions, les fameux us et coutumes qui sont périmés depuis 50 ans, au lieu de chercher à en imposer de nouveaux, en rapport avec la vie actuelle. Cette action est nettement conservatrice et inconcevable.

C’est encore au nom des mêmes intérêts qu’on entreprend, sans coordination, sans liaison, sans consultation préalable, les actions les plus diverses, les plus contradictoires, presque toujours vouées à l’insuccès le plus complet.

Même quand elles réussissent, ces actions n’ont que peu de valeur. Elles ne permettent guère que d’obtenir des résultats partiels, qui exacerbent davantage les rapports entre travailleurs, pour le plus grand bénéfice des employeurs.

C’est de la pratique constante du corporatisme, de la