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nisation des animaux qui leur est inconnue ; les biologistes. qui en connaissent toute l’imperfection, se rejettent sur l’arrangement des astres dont ils n’ont aucune idée approfondie. »

L’observation montre pourtant de la finalité dans la nature, mais jamais une finalité parfaite. Ce qu’on vante le plus souvent, au détail, ce sont des remèdes insuffisants à de graves défauts. Nous ne rencontrons que des finalités boiteuses. Pas seulement partielles, mais divergentes et hostiles les unes aux autres. La lutte pour la vie suffit à faire écarter toute idée de plan universel. La nature se manifeste, à la fois, conspiration pour la vie, conspiration contre la vie. Comment expliquer son incohérence ? Question métaphysique, que nul ne résoudra scientifiquement, que chacun peut résoudre poétiquement, pour lui seul, selon ses tendances. Mais considérer le monde comme l’œuvre d’un Dieu ou comme une pensée divine sans Dieu personnel, ce n’est plus souriante poésie, c’est ridicule démenti à l’expérience. — Han Ryner.


COTERIE. n. f. On appelle coterie un nombre d’individus qui s’associent pour soutenir ou discréditer une œuvre, un individu ou un groupe d’individus. Il y a des coteries politiques, sociales, commerciales, littéraires. D’ordinaire la Coterie ne s’embarrasse pas de vains « préjugés » et emploie tous les moyens qui sont susceptibles de lui assurer le succès. « La fin justifie les moyens » pourrait lui être appliquée comme devise.

La coterie est dangereuse car elle n’agit pas franchement et cherche des chemins détournés pour arriver à son but ; elle est un adversaire redoutable qui se cache parfois sous le masque de l’amitié. Il faut donc s’en méfier.

De tous les temps les hommes de réelle valeur furent victimes des coteries et cela dans toutes les branches de l’activité humaine. En littérature comme en politique lorsque un artiste ou un homme sincère se signale à l’attention du public, immédiatement il est entouré des ambitieux et des incapables qui cabalent contre lui, et cherchent à l’écraser. On pardonne tout à un individu, sauf son intelligence ; car c’est une chose qui ne peut s’acheter et c’est sans doute la raison pour laquelle les hommes de valeur sont les victimes des coteries.

« Que diantre me poussait à vouloir être de l’Académie, moi qui m’étais moqué quarante ans des coteries littéraires. » (P.-L. Courrier.) On peut regretter que ce ne fut que lorsqu’il se vit refuser l’entrée de l’Académie à laquelle il avait posé sa candidature que Paul-Louis Courrier s’aperçut que cette association de vieillards était une coterie chargée de veiller au respect de la tradition, et qui rejetait tout ce qui semblait être imprégné des idées de progrès.

La Coterie, c’est presque l’histoire du monde, nous dit Lachâtre ; et c’est, hélas ! vrai.

Jusqu’à présent nous avons toujours été gouvernés par des coteries qui se fichent du bonheur du peuple et ne s’intéressent qu’aux jouissances de la faible minorité qui nous exploite ; coterie financière, coterie politique, artistique, littéraire, s’entendent pour asservir notre corps, notre cerveau et notre cœur. Peut-être est-il temps que cela change.

Les opprimés n’en ont-ils pas assez d’être depuis toujours soumis à ces coteries qui font régner leur dictature sur les humains et retardent la marche des civilisations ? La coterie ne peut être maîtresse du monde que grâce à la passivité des peuples qui se refusent à penser et à agir par eux-mêmes et si les hommes avaient un peu plus soin de leurs propres affaires et un peu moins de lâcheté, les coteries d’incapables et de profiteurs auraient bientôt fait de nous débarrasser de leur présence.


COURAGE. n. m. Fermeté physique ou morale qui nous fait entreprendre certaines actions dangereuses et nous permet de repousser avec hardiesse les revers et les douleurs éventuelles.

Le courage serait une grande qualité, s’il était mis au service d’une noble cause ; malheureusement il n’en est pas toujours ainsi, bien au contraire.

« Le courage, qui n’est pas une vertu, mais une qualité heureuse commune aux scélérats et aux grands hommes, ne l’abandonne pas dans son asile ». (Voltaire.) En effet, autant le courage peut être bienfaisant, autant il peut être nuisible, car il n’est pas le privilège d’une catégorie d’individus et le plus audacieux des coquins peut être courageux ; et plus il l’est, plus il est malfaisant.

Peut-on considérer de la même essence le courage du savant qui risque sa vie en soignant des malades infectés et celui du bandit inconscient ou intéressé qui attend sa victime et la supprime brutalement ? L’un et l’autre ont des risques à courir et savent ce que peuvent leur coûter leurs dévouements ou leurs crimes, et pourtant ni l’un ni l’autre ne sont arrêtés dans l’accomplissement de leurs actes ; ils sont courageux.

Le courage ne peut pas et ne doit pas toujours être admiré. Le courage du lion est un désastre pour les troupeaux, et il serait certes préférable qu’il soit un peu moins courageux et qu’il ne vienne pas dévaster, à la grande terreur des indigènes, les contrées qu’il habite.

Peut-on admirer le courage militaire ? Certes l’armée la plus courageuse est celle qui a le plus de chance de se couvrir de gloire en emportant d’éclatantes victoires ; mais que de crimes se sont commis, se commettent et se commettront sans doute encore en vertu de ce courage qui se manifeste sur les champs de bataille ! Pour nous, révolutionnaires, un tel courage est loin de nous enthousiasmer car il est une cause de souffrances et de douleurs.

On donne souvent au mot courage une interprétation qui nous paraît erronée. Vauvenargues considère la résignation comme « le courage contre les misères ». Nous ne sommes pas de cet avis et nous considérons, nous, que la résignation est tout au contraire l’opposé du courage, c’est-à-dire « la lâcheté ». Il nous paraît impossible de qualifier de courageux l’homme qui, victime de l’injustice sociale, se résigne à la pauvreté alors que tout, autour de lui, respire la richesse, et qu’il ne profite d’aucune jouissance. Une telle conception du courage nous ramènerait avec rapidité aux jours les plus sombres du passé, car jamais la résignation ne fut une source de progrès et de civilisation ; au contraire ce fut la révolte courageuse des hommes de science et d’action dans leurs luttes contre les préjugés, les iniquités, les injustices, qui permit aux hommes de s’affiner et de sortir dans une certaine mesure de l’esclavage sous lequel les tenaient courbés la nature indomptée et l’autorité brutale et féroce des autocrates.

Il faut être courageux, moralement et physiquement, si l’on ne veut pas être un vaincu de la vie. L’un complète l’autre.

Le courage des premiers chrétiens qui préféraient la torture et la mort, que de renier ce qu’ils pensaient être la vérité est symbolique, et s’ils surent résister à tous les outrages, à toutes les insultes, à toutes les misères, à toutes les tortures, c’est qu’ils puisaient leur courage physique dans leur courage moral. Devant une telle abnégation de soi-même, devant un tel sacrifice à une cause, on ne peut que s’incliner devant les héros livrés à la barbarie des tyrans ; et il faut souligner que si ces hommes et ces femmes surent mourir avec un tel courage, c’est qu’ils étaient animés par l’amour de l’Humanité et que la foi en un avenir meilleur gonflait leurs cœurs.