Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
CRE
464

chez pas à comprendre. Quel serait le mérite de croire, si vous compreniez ? Et, si vous pouviez comprendre, de quel droit réclameriez-vous la récompense promise aux âmes qui s’abîment dans l’adoration ? Méfiez-vous des tentations diaboliques. Satan est habile dans l’art de vous tendre des pièges et c’en est un ― peut-être le plus dangereux ― que de vous inciter à pénétrer le mystère dont il plaît à notre Dieu de s’envelopper. Croyez ; croyez aveuglément ; croyez même, croyez surtout à ce qui vous paraît absurde. Avec le bon chrétien, dites : je crois non pas bien que ce soit absurde, mais parce que c’est absurde ; credo quia absurdurm ! » À l’Église, au cours d’une cérémonie cultuelle, devant un auditoire composé uniquement de fidèles disposés à tout croire et résolus à tout admettre sans piper mot, ce langage suffit. Mais il n’en est plus ainsi quand de la chaire le débat se transporte à la tribune et quand celui qui parle s’adresse à une assemblée composée d’auditeurs réfléchis, avisés, attentifs, éclairés, qui ne se paient pas de mots et ne sont sensibles qu’au raisonnement.

Le débat s’est rarement engagé, entre mes contradicteurs et moi, sur ce point précis de l’acte créateur. Il n’y a pas à s’en étonner : la cause de mes adversaires était malaisée à défendre et peu nombreux ont été ceux qui ont eu le courage ― peut-être ferais-je mieux de dire la témérité et, mieux encore, la maladresse ― de s’y aventurer. Il en fut cependant qui comprirent que l’argument avait porté et qu’il avait trop de poids pour qu’il fût permis à un Chrétien de n’en pas souffler mot. « La création, dirent quelques-uns, est un mystère ; elle est du nombre de ces quelques problèmes qui échappent à la faible compréhension de l’homme ; c’est un article de foi. On croit à la Création ou on n’y croit pas ; mais il est aussi impossible de la prouver que de la nier. La Science et la Raison sont impuissantes à faire la preuve dans un sens comme dans l’autre. Il nous paraît, cependant, que l’affirmation est plus plausible que la négation ; de toutes façons, la doctrine d’un Être Éternel et tout puissant a l’avantage d’apporter à la question des origines de l’Univers une solution, tandis que la doctrine opposée n’en apporte aucune. »

En réponse à cette déclaration (car il n’y a pas dans ces propos un essai de réfutation), il suffit de faire observer :

a) Que, bien qu’elles soient liées l’une à l’autre, la question des origines de l’Univers et celle de la Création sont distinctes ; qu’elles ne doivent pas être étudiées simultanément, mais l’une après l’autre. Il est, en effet, évident que, s’il était prouvé que le Monde n’a pas eu de commencement, qu’il a existé de tout temps, il n’y aurait pas lieu de se demander s’il a été créé, par qui, quand, ni comment. Cette question de la Création ne se pose que dans le cas où il serait démontré que l’Univers a commencé. Alors, mais alors seulement, il peut y avoir lieu d’étudier le problème de la Création. Or, le Christianisme admet tout d’abord, comme si c’était un point acquis, que l’Univers n’a pas toujours existé, puisqu’il affirme qu’il a été créé. C’est ce que, en logique, on appelle une pétition de principe, c’est-à-dire un raisonnement qui accepte comme point de départ l’argument ou le fait dont il est nécessaire de prouver au préalable l’exactitude.

b) Qu’il est faux d’avancer que la doctrine d’un Être éternel et tout-puissant, ayant créé le Monde apporte la solution attendue du problème des Origines de l’Univers. C’est, en effet, une manière étrange de résoudre une question déjà fort obscure en soi que d’en augmenter l’obscurité en lui apportant une solution plus troublante, plus indéchiffrable, plus incompréhensible encore que cette question elle-même. Or, c’est à ce résultat qu’on aboutit infailliblement lorsque, dans le but de

résoudre les Énigmes de l’Univers, on tranche la question par une solution plus énigmatique encore, plus invérifiable, plus mystérieuse : la Création.

c) Que, au surplus, ce n’est pas résoudre la question, mais tout simplement en reculer la solution et la compliquer par l’entrée en scène et l’intervention active et directe d’un Être inabordable à l’intelligence de l’homme et qui, par conséquent, échappe fatalement, de ce chef, à tout contrôle comme à tout raisonnement.

Tout récemment (1926) le journal Le Figaro, bien connu pour ses attaches avec les milieux catholiques, a ouvert une enquête sur le sujet suivant : « Le sentiment religieux et la Science. Y a t-il opposition entre l’un et l’autre ? » Comme il fallait s’y attendre, il a consulté, dans le monde de la Science officielle, tous les professeurs et docteurs plus ou moins acquis, par leur naissance, leur éducation, leur culture, et… leur clientèle, aux milieux conservateurs et chrétiens. La réponse de ces messieurs peut se résumer ainsi : « Le sentiment religieux et la science appartiennent à deux domaines distincts et ceux-ci ne sauraient être confondus. Le plan sur lequel travaille le savant n’est pas le même que celui sur lequel s’affirme et travaille le croyant. Il n’y a donc aucune opposition entre la Science et le Sentiment religieux. » Cette réponse est, quant au fond, tout un aveu. Celui-ci est entouré d’artifice ; il n’en existe pas moins, c’est dire que la Science et le Sentiment religieux sont étrangers l’un à l’autre, c’est reconnaître que la Science ignore la religion et, par conséquent, que le Sentiment religieux n’a à attendre de l’esprit et de la méthode scientifique aucun appui, aucun concours.



Je poursuis ma démonstration.

D’autres contradicteurs m’objectèrent qu’en déclarant la Création impossible, je ne tenais pas compte de la toute-puissance de Dieu, que le pouvoir divin étant sans limite, rien ne lui était impossible.

Voici ma réponse : quand on dit que rien n’est impossible à Celui dont la puissance est sans borne, on profère une sottise, si on entend par là prétendre que Dieu peut faire l’impossible. L’impossible, c’est ce qui ne peut pas être ; le possible, c’est tout ce qui peut être.

Voici un bâton ; il a deux extrémités. Il est impossible qu’il n’en ait qu’une et Dieu lui-même ― s’il existait ― ne pourrait pas faire que ce bâton n’en eût qu’une. Il a plu hier. Dites-moi, ― si vous croyez que Dieu existe et qu’il est le maître des éléments et qu’Il peut faire à son gré le beau temps ou la pluie, ― dites-moi que Dieu aurait pu empêcher qu’il plût ; mais ne me dites pas que Dieu peut aujourd’hui faire qu’il n’ait pas plus hier. Mon meilleur ami est mort il y a trois jours ; dites-moi que Dieu, puisqu’il est tout puissant, aurait pu l’empêcher de mourir ; mais ne me dites pas qu’il est au pouvoir de Dieu de faire qu’il ne soit pas mort. Vous me répondrez qu’Il peut le ressusciter. Le ressusciter ? Soit ; mais, dans ce cas, c’est-à-dire si Dieu rend la vie à mon ami, c’est que celui-ci l’avait perdue et donc qu’il était mort ; dites-moi encore qu’il n’a pas été nécessaire qu’Il le ressuscite et qu’il a suffi, son pouvoir aidant, qu’Il rappelle mon ami à la vie et je vous répondrai que dans ce cas, mon ami n’était pas réellement mort, qu’il était plongé dans un état léthargique ou cataleptique lui donnant l’apparence d’un cadavre, mais qu’il n’était pas réellement un cadavre. Dieu ne peut donc pas faire l’impossible ; dans le domaine des impossibilités, il est aussi impuissant que vous et moi… Ce qui serait vrai, indiscutable même, s’Il existait, c’est que dans le domaine des choses possibles, Il pourrait tout, absolument tout, mais dans le domaine des choses possibles, seulement.

Prenez une mouche, attachez à cette mouche un poids de cent grammes, elle ne pourra pas l’enlever ;