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unes sur les autres, et de se massacrer pour faire triompher leur « bon droit » à l’appel de leurs gouvernants civils ou militaires, monarques ou parlementaires. Nous ne voulons même pas effleurer ce sujet qui dépasse le cadre de cette étude. Le Droit international public contient aussi ce qu’on appelle le Code des lois de la guerre. Les « usages de la guerre » ont fait l’objet de conventions internationales (conventions de La Haye, etc.). Ils sont d’ailleurs outrageusement violés dans chaque conflit, par tous les belligérants, chacun d’eux accusant le voisin d’avoir pris l’initiative de cette violation. La barbarie change de forme ; elle s’entoure de prétextes ; la guerre d’autrefois opposait l’homme à l’homme, comme dans la forêt primitive où la bête cherchait sa nourriture. La guerre d’aujourd’hui organise et autorise le massacre en masse, par tous les moyens que la science peut avoir trouvés, pour faire respecter, ô ironie, le prétendu Droit des peuples. Les « usages et les règles de la guerre » pèsent bien peu dans la tourmente, et nous l’avons bien vu, pendant cinq ans, des deux côtés de la tranchée.

Le Droit national, celui qui ne régit qu’une nation déterminée, se divise aussi en Droit public et en Droit privé.

Le Droit public est celui qui règle la constitution de l’État, et ses rapports avec les individus. Il comprend notamment le Droit constitutionnel, qui se réfère à l’organisation générale de l’État, le Droit administratif, qui règle l’exercice des diverses fonctions de l’État et, en particulier, la gestion de ses intérêts dans ses rapports avec les particuliers, enfin le Droit pénal ou criminel, qui réprime par la peine infligée à l’individu certains actes que la loi considère comme constituant une atteinte plus ou moins grave à l’ordre public, une violation plus ou moins grave de ses dispositions.

Nous examinerons au mot « peine », tout ce qui concerne l’évolution historique de cette partie du droit. Nous voulons seulement noter ici que la sanction de l’obligation que crée le Droit est tantôt une sanction civile, par exemple la nullité de l’acte juridique intervenu entre deux individus contrairement au Droit, et tantôt une sanction pénale ; il y a aussi des lois qui sont dépourvues de toute sanction, par suite d’un oubli volontaire ou non du législateur.

Le Droit privé est celui qui règle les rapports de particulier à particulier. Il contient, par exemple, tout ce qui est relatif à l’organisation de la famille et de la propriété. Le Droit privé contient aussi les règles applicables aux conventions entre particuliers. Dans toutes les législations, la violation de ces conventions est sanctionnée par la loi ; c’est en ce sens que l’on dit que la convention, ou contrat, est l’une des sources des obligations. La convention tire donc sa force de l’appui que lui donne la société. Cet appui cesse parfois pour des raisons bonnes ou mauvaises d’opportunité ; c’est ainsi que les conventions peuvent être annulées dans certains cas. Des circonstances exceptionnelles, comme celles nées de la dernière guerre, ont amené le législateur à permettre aussi la révision de certains contrats (baux, marchés commerciaux, etc.). Mais, d’une manière générale, la loi, dès les débuts des premières civilisations, intervient pour obliger les particuliers à exécuter ce qu’ils ont promis ; l’inexécution entraîne même dans certains cas la sanction pénale (exemple : délit d’abus de confiance). À l’origine, d’ailleurs, la loi se contente d’autoriser le cocontractant à user de la force. Le débiteur peut être emmené en esclavage ; il peut même être mis à mort (Loi des Douze Tables). Notre législation a connu très tard encore, jusqu’au dernier siècle, la contrainte par corps, c’est à dire la prison pour dettes. La contrainte par corps n’existe plus dans la loi française, que pour les paiements des amendes ou des dommages intérêts prononcés par un tribunal répressif. L’exécution sur les biens à

remplacé l’exécution sur la personne, mais la loi intervient ; avec l’appui de toute la force sociale, pour assurer le respect de la convention.

Il y a, dans le Droit privé, ce qu’en langage d’école, on appelle les dispositions impératives et les dispositions supplétives. Une partie importante du Droit privé consiste à régler l’élaboration des actes juridiques et des contrats. Certains actes juridiques, certains contrats même (ex. le mariage) sont réglementés par la loi d’une manière impérative. Les conventions qui règlent des intérêts privés sont, au contraire, en général libres. La loi, en ce qui les concerne, ne contient que des dispositions applicables dans le silence des contractants.

Le Droit privé comprend lui-même le Droit civil, applicable à tous les citoyens, ou des institutions applicables soit à certaines catégories de citoyens, soit a certaines situations particulières (droit commercial, droit industriel, droit rural, etc.). Mais ces divisions sont quelque peu arbitraires. L’évolution économique peut même les rendre incompréhensibles. Ainsi, l’on a voulu donner aux commerçants un Code spécial, et des tribunaux spéciaux. On a considéré que les contrats commerciaux, conclus plus fréquemment, plus rapidement que les contrats entre particuliers, devaient être assujettis notamment au point de vue de la preuve, à des règles moins strictes que les contrats civils. Mais il se trouve que le développement des affaires a rendu d’un usage constant, en matière commerciale plus encore qu’en matière civile, l’écrit, pour constater une convention de quelque importance. On a voulu faire juger les commerçants par des hommes connaissant mieux, dit-on, les usages du commerce. Et cependant, les tribunaux civils sont appelés à juger, eux aussi, les questions de droit commercial (par exemple dans les rapports entre un non-commerçant et un commerçant). Et il se trouve que ces juridictions spéciales sont plus routinières souvent, plus attachées aux formes minutieuses de la procédure, et à tous points de vue plus dangereuses pour les justiciables que les tribunaux composés de magistrats de carrière.

Nous voici au terme de notre étude. Nous avons jusqu’ici négligé une troisième acception du mot Droit. Dans cette acception, le Droit désigne la science, l’étude qui porte sur le Droit en général, et en particulier sur les Droits qu’il établit, C’est ainsi qu’on dit la Faculté de Droit, un livre de Droit, etc… Les manuels discutent gravement et savamment si le Droit ainsi compris, constitue un art ou une science. Nous ne nous attarderons pas à cette vaine recherche.

Conclusions. ― La complexité de plus en plus grande des rapports sociaux, a créé dans le monde moderne, un Droit lui-même de plus en plus complexe, moins formaliste peut-être à certains égards, et dans son principe, qu’aux époques anciennes, mais composé d’une multitude de dispositions législatives et d’usages. Dans un amas de dispositions confuses ou même souvent contradictoires, les citoyens n’arrivent pas à se reconnaître. Une immense corporation privilégiée, de plus en plus puissante dans l’État, composée des notaires, avocats, avoués, huissiers, hommes d’affaires, etc., tire sa richesse de l’exploitation de cette ignorance. La victoire est souvent au plus habile dans les luttes judiciaires : de là une source d’incertitudes ou même de démoralisation dans les relations sociales.

L’organisation même de l’État et des services publics devient de jour en jour infiniment plus complexe. Des innombrables prescriptions et formalités de toute sorte qui gouvernent l’activité des individus, ces derniers cherchent à éluder toutes celles qui peuvent gêner leur indépendance ou leurs combinaisons particulières. Les forts, les puissants y arrivent. Mais sur les humbles, sur les faibles, pèse lourdement le poids de la contrainte sociale, faite, malheureusement, et trop souvent, d’iniquité. ― G. Bessière.