autres, et le législateur est obligé de compter avec eux. Combien superficielle et vaine, cette grande distinction entre le Droit écrit et le Droit coutumier que les jurisconsultes placent à la base même de la science du droit. Non seulement le droit a été coutumier à l’origine, mais il reste aujourd’hui encore essentiellement coutumier, malgré l’arsenal législatif qui s’augmente chaque jour. Nous avons vu plus haut que beaucoup de lois restaient à l’état de lettre morte. Mais la loi reste impuissante à régler tous les rapports de droit. Elle édicte des principes généraux que la coutume (ou si l’on veut la jurisprudence), applique en suivant l’évolution même de la société ou les passions du temps. Le Code civil a été rédigé à une époque qui ne connaissait pour ainsi dire pas la machine, qui ignorait les chemins de fer et l’automobile. C’est cependant encore aujourd’hui, en matière de responsabilité civile, et sauf la législation du travail, les textes de 1914 que l’on applique il des situations inconnues au moment de leur rédaction. Mais, par exemple, les dangers qui résultent du développement sur nos routes et dans les grandes villes d’une circulation intense, amènent peu à peu la jurisprudence à une interprétation de ces textes qui admet la responsabilité de plein droit du conducteur d’une voiture automobile pour les accidents causés à un tiers, interprétation à l’heure actuelle en voie de formation, et qui était contraire à celle admise jusqu’ici. Le texte est cependant resté le même.
On dira que les lois peuvent avoir plus de précision, et avoir l’ambition de régler tous les cas auxquels elles entendent s’appliquer. Il est bien certain que nos lois contemporaines sont infiniment plus complexes, plus touffues qu’autrefois. Par le jeu des amendements et des sous amendements, les parlementaires cherchent à introduire dans les lois en préparation, toutes les dispositions qui peuvent donner satisfaction aux intérêts (ou aux préjugés), de telle ou telle catégorie de leurs électeurs.
A la différence de nos grands Codes, la loi contemporaine a pour caractéristique de chercher à prévoir et à régler dans le détail la matière qu’elle traite. Y a-t-il là un progrès ? Pour ma part, je ne le crois pas. Il n’en résulte qu’une énorme confusion et comme, malgré tous les efforts et toutes les prévisions, le législateur reste impuissant à deviner à l’avance toutes les hypothèses qui pourront se présenter dans la pratique, l’incertitude subsiste pour chacun, le plus souvent, sur l’étendue de ses droits et de ses devoirs. C’est donc encore ici la coutume qui règle la plupart des situations juridiques, car l’interprétation littérale des textes n’est guère qu’un prétexte à l’adoption des solutions que les préjugés ambiants font naître.
Si l’on envisage notre ancien droit français, notre manière de voir se justifie encore mieux. L’ancienne France était divisée en pays de droit écrit et pays de coutume. Cette division juridique, correspond assez exactement à une division géographique. Les provinces du Midi constituaient le pays de droit écrit, où l’influence romaine avait persisté au travers du Moyen Âge, où le droit romain était en principe en vigueur. Les provinces du Nord étaient, au contraire, régies par les coutumes, qui varient de province à province et souvent de localité à localité. (Il y avait plus de 360 coutumes.) Mais, même dans les pays de droit écrit, le droit romain avait reçu presque partout, des modifications plus ou moins profondes en vertu des usages locaux et de la jurisprudence des parlements. D’autre part, l’ordonnance royale de 1453, ordonna la rédaction par écrit des coutumes. En réalité, le Droit est resté jusqu’à la rédaction de nos Codes, constitué essentiellement par des traditions, soit d’origine germanique, soit d’origine romaine, adaptées plus ou moins aux nouvelles conditions sociales.
Depuis la promulgation de nos Codes, nous ne reviendrons plus sur ce point ; une évolution progressive en a quelque peu modifié l’esprit dans beaucoup de parties. Mais il faut tenir compte aussi de l’existence, au-dessus de la loi écrite, d’un certain nombre de principes, dits « adages de droit » pour la plupart venant des jurisconsultes de Rome, et dont la jurisprudence tient encore aujourd’hui le plus grand compte, soit pour interpréter les textes, soit pour les compléter. L’autorité de ces vieux principes juridiques est restée entière ; autant au moins que le texte de nos Codes, il constituent la base même de la culture juridique et de l’enseignement de nos Facultés de droit. Il semble que le droit dit écrit, du d’une manière plus exacte le droit « promulgué », ne puisse s’en écarter. C’est la coutume, c’est la tradition, qui gouverne le monde.
Nous venons, avec la distinction entre le Droit coutumier et le Droit écrit, d’entamer l’étude des diverses divisions du « Droit », toujours considéré dans le sens objectif du mot. Il nous reste à donner une très rapide énumération de ces divisions. Nous pourrons ainsi avoir une notion plus exacte de ce qui constitue aujourd’hui le « Droit ».
La première de ces divisions est celle du Droit national et du Droit international. Dans la civilisation antique, nous l’avons vu, la notion du droit individuel n’est pas encore née. Les règles du droit, coutume, tradition, préceptes religieux ne s’appliquent qu’aux membres du groupe social. Vis-à-vis de l’étranger, il n’y a pas d’autre règle que la loi du plus fort : c’est l’état de guerre. Dans la terminologie romaine, le même mot désigne, tout au moins au début, l’ennemi et l’étranger : hostis. Avec l’évolution économique, se forme peu à peu la notion de principes juridiques applicables à l’étranger, notion sans laquelle toutes relations commerciales et tous échanges eussent été impossibles. Ainsi naît ce que les historiens du droit romain appellent le jus gentium (droit applicable entre les gentes ou groupes familiaux), par opposition au jus civile, applicable aux seuls citoyens romains. Le contrat de vente, par exemple, fait partie du jus gentium. C’est l’origine du Droit international.
La loi, en principe, n’étend son autorité qu’aux limites du territoire de l’État. Mais elle oblige dans ces limites tous les individus qui se trouvent sur ce territoire. Quelles sont les dispositions dont les étrangers pourront réclamer le bénéfice ; quelles sont celles dont seuls les nationaux pourront se réclamer : c’est le problème de la condition civile des étrangers (voir ce mot), et c’est la première partie du Droit international.
Le Droit International règle aussi les rapports contractuels ou de famille, entre nationaux et étrangers ; quelle sera la loi applicable dans tel ou tel cas déterminé ? Les législations des divers pays le précisent ; souvent aussi, la solution est indiquée par des traités internationaux.
Le Droit international règle enfin les conditions de forme et de fonds des conventions passées à l’étranger par des nationaux, et l’exécution hors des limites d’un État des sentences rendues par les tribunaux.
Tout ce que nous venons d’indiquer fait partie de ce qu’on appelle le Droit international privé, qui concerne les intérêts privés des individus. Mais il y a aussi un Droit international dit public, qui règle ou qui est censé régler les rapports entre nations au point de vue de leurs intérêts généraux. C’est cette partie du Droit que l’on appelle souvent le Droit des gens, le Droit entre les nations (jus intergentes). Le Droit international public contient les traités ou conventions intervenus entre les États : traités de paix, traités de commerce, conventions d’arbitrage, etc. Le Droit n’est ici, sanctionné que par des organisations qui ont été jusqu’ici impuissantes à empêcher les nations de se jeter les