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FAB
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pique mélancolie. De ses Fables, relevons, dans Le Paon et le Rossignol :

             … l’avantage ordinaire
Qu’ont sur la beauté les talents ;
Ceux-ci plaisent de tous les temps,
Et l’autre n’a qu’un temps pour plaire…

Mentionnons aussi Snoïlsky (1841-1903) avec ses Légendes et Contes en vers (La Nouvelle Cendrillon, Ginevra) etc…

L’âpre Norvège, affranchie des liens danois, voit se parfaire son indépendance littéraire (qu’ont assurée déjà les Wergelandet, les Welhaven) par l’effort des Asbjœrnsen et des Mœ, « tous deux rassembleurs zélés des vieux contes norvégiens, dont l’union féconde révèle au pays les trésors du folklore indigène ». Asbjœrnsen (1812-1885), un simple attaché à ses origines, recueille, des paysans, une précieuse moisson de légendes. Il traduit d’abord les Contes de Grimm, mais bientôt uniquement attentif au miroir natal, dégage, avec Mœ, ses Contes populaires norvégiens, puis ses égendes des Esprits de la Montagne… Jœrgen Mœ (1813-1882) fouille au cœur des vieilles langues rustiques, écrit des poèmes, puis des chansons, des chants alternés en patois, enfin ces Contes ― en collaboration ― où s’épanouissent les richesses originales du terroir… De ces bâtisseurs, la littérature montera aux Bjœrnson et aux Ibsen, à la fois si Norvégiens et si humains…

Jusqu’au xviiie siècle, la littérature danoise tient toute entière dans les « sagas » historiques et dans la mythologie de l’Edda, compositions plus ou moins mêlées aux « Chants populaires ». Puis, au xixe siècle s’affirment, dans une note grave et inspirée, poètes, romanciers et conteurs. Parmi ces derniers émerge Andersen (1805-1875) dont les Contes, imaginés ou légendaires, si caractéristiques et pensés, sont connus dans toute l’Europe (Le Père, le Nid d’Aigle ; Le Briquet ; Petit Claus ; Le Coffre volant, etc…).


La fable et ses lisières ― Conclusion

On ne peut nier que la morale ait enlacé, comme une chaîne, ses guides autour du corps fragile de la fable et qu’elle ait si souvent poussé devant elle une hésitante prisonnière. Il n’a fallu rien moins que le génie pour la ravir à son étreinte et nous faire oublier, du moins un temps, qu’elle était la sœur captive des préceptes, pour nous montrer qu’elle pouvait, hors ses entraves, être aussi belle. Sans lendemain, le rapt heureux, à ce niveau (d’où elle eût pu monter encore) ne l’a pas conservée. Elle est, aux mains des sages, bientôt redescendue. Le dessein de peser sur la marche des hommes s’est acharné sur la destinée de la fable. Parce qu’il s’est penché sur son berceau et qu’elle lui doit, venue des nuits lointaines, d’avoir chevauché tant sur les siècles, lui pardonnerons-nous, sur son vol soutenu mais toujours en tutelle, l’interdit permanent des libres randonnées ? De vivre et de durer n’est pas l’espoir d’un art. Il lui faut l’étendue, dut-elle l’engloutir. Si tous les risques, la récompense possible de l’audace. La fable, qui sait ? oiseau vainqueur peut-être, aurait encore, précipitée, quelque immortel chant du cygne ?…

On reproche à la fable d’être, à cause de cette morale, une arme dangereuse entre les mains des pédagogues…

Il s’agit en effet ― et ceci atteint le concept, quel qu’il soit, qui dépasse le plan de l’enfance, et toute tentative, d’où qu’elle vienne, d’embrigadement pour le triomphe des systèmes ― il s’agit d’écarter des petits toute moralité, de sauvegarder l’enfant contre tout enseignement moral ― ou doctrinaire ― devançant l’expérience et la vie. Il importe d’empêcher qu’on n’aiguille, préalablement à ses constatations, sa con-

duite sur des voies à son encontre établies, qu’on ne violente ses généralisations futures par de précoces inductions, qu’on n’enferme son demain dans les opinions d’autrui. Et la fable-apologue est un agent dogmatique. Ses abstractions a priori, ses préceptes dominent l’enfant… Et l’éducateur ― dont le scrupule respectueux garde avec vigilance la personnalité naissante ― la tiendra en suspicion, ne l’appellera qu’avec doigté, à son heure…

Mais si ― après cette condamnation de principe, et posées ces réserves, et ces précautions entendues ― nous en venons à l’examen des fables et de leur esprit, si nous étudions les sentences et leur caractère nous constatons que, dans l’ensemble, leur nocivité n’est en rien comparable à celle des récitations et historiettes, des lectures et des chants dont regorgent les manuels, à celle de l’histoire, cette fable des siècles. Car la fable ― ce conte ― au contraire des fragments (prose ou poésie) puisés tendancieusement dans les ouvrages favorables, au contraire des histoires « vraies » de l’histoire, n’est pas (sauf de rares exceptions fournies surtout par les auteurs médiocres) l’adulatrice d’un régime et ne peut être confondue avec les véhicules habituels du civisme. Elle n’est qu’accidentellement et par déviation la servante d’une organisation sociale définie et d’une morale passagère. Elle vise à la diffusion de règles générales qu’elle considère comme des vérités éternelles…

Et ― en dehors des apparences et de nos illusions ― qu’est-ce, au fond, que l’éducation morale de l’école, jusqu’où va sa répercussion ? Que décident ses « vérités générales » (dont ce n’est pas ici le lieu de discuter la légitimité) quand elles ne sont pas servies par les mœurs et que l’ambiance les contredit ? Elle est bien pauvre ― et sa portée précaire ― la moralité des livres et de la parole, quand elle n’est pas secourue par l’exemple et qu’autour d’elle tout conspire contre ses propos. C’est du milieu surtout (quand l’hérédité le veut bien, et les prédispositions natives personnelles) que viennent les orientations profondes. C’est dans l’atmosphère ― familiale et sociale ― où baigne l’enfance que se gravent, par une lente pénétration, les empreintes qui « moraliseront » l’avenir et que s’agrège, dans le subconscient, par une multitude de gestes imitatifs et d’attitudes répétées, le faisceau déterminant des actions futures…

Qu’est, à côté de la conscience des faits, la conscience enseignée ? la coalition des préceptes auprès des forces animées qui pétrissent les hommes ? Et que peut, dites-moi, la théorie morale contre ses démentis quotidiens, quand, au foyer, dans la rue, partout, en triomphe la négation permanente ? Tant freins que propulseurs, les vertus en lice ont-elles réduit et rénové l’être de proie ? Ou seulement contraint à des souplesses raffinées, fait faire patte de velours aux griffes de la brutalité ? Et n’est-il pas ― refoulé seulement dans l’hypocrisie ― demeuré le maître en définitive, félin manœuvrant derrière un paravent d’opérette ? En grand, la démonstration de la guerre n’est-elle pas là, toute proche ? L’humanité ― si nous la regardons plus loin que ses jolies grimaces et que son masque de civilisée ― s’est-elle dégagée du mensonge, de la tromperie, s’est-elle guérie de la vanité, a-t-elle dépouillé la cruauté, rejeté la domination, s’est-elle approchée de l’amour ?… Les instructions, les prêches, pourtant, depuis des millénaires, ne lui ont pas manqué. Philosophies, religions s’y sont dépensées. Sages et fanatiques ont accumulé mandements et conseils. Et la vie imperturbable continue à projeter sur le monde l’ironie de son désaccord et de ses réalités adverses…

L’enfant vient, en l’anecdote même ou sa moralité, de proscrire ― ah ! ce renard perfide ! ― les tortueux