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ciés de demain, appelés à intervenir en une sorte de constituante, on comprend sans peine quelles espérances le fondateur pouvait fonder sur leur sollicitude pour entretenir, dans leur vitalité et selon son esprit ; les institutions. Mais cette obligation cruelle d’assurer le moins paralysera davantage une œuvre dont c’est le devoir et l’âme de s’élever toujours plus, d’être, plus encore qu’un modèle d’industrie, une exemple social…

Pour Godin, nous le savons, « en association, les capacités doivent être mises à leur vraie place et les salaires distribués en fonction directe des capacités ». Mais nous avons vu ‒ l’expérience des groupes est, à cet égard, édifiante ‒ quels obstacles entravent la découverte des aptitudes et, par conséquent, leur meilleure utilisation. Nous n’ignorons pas non plus combien, à son tour, est difficile, presque impossible, en l’état actuel, avec les pauvres éléments dont on dispose, l’absence de précédents dont on puisse compulser les données, l’évaluation du mérite. Et à quel point la détermination du salaire (rétribuant chaque fois qu’il est possible, un travail à tâche ou aux pièces) reste (insuffisantes comme le sont, dans la pratique, les « pondérations » actuellement réalisables) dans une large mesure, soumise à l’appréciation du chef d’entreprise et sujette ‒ malgré sa conscience ‒ à d’appréciables erreurs. Nous sommes, d’autre part, avertis que ce n’est pas par hasard, ni par routine, mais après de laborieux tâtonnements allant jusqu’à la consultation des intéressés (dont les réponses furent, en l’occurrence, singulièrement conservatrices. C’est, « désespérant de trouver une forme supérieure qu’il fondera l’association en lui donnant pour base le partage des bénéfices au prorata des salaires touchés par les ayants-droit » (J.-P,)… Il convient de rappeler ces considérations avant d’aborder le mécanisme de la participation aux bénéfices dont le système de répartition est ainsi fonction de la rétribution, c’est-à-dire qu’il accentue, par sa proportionnalité, l’arbitraire initial des appointements et salaires…

Sur les bénéfices industriels bruts constatés par les inventaires (cet exposé est résumé d’après la Notice de la Société du Familistère, publiée en 1926) il est défalqué, à titre de charges sociales :

1° Prélèvement statutaire pour les amortissements ;

2° Subvention aux diverses assurances mutuelles ;

3° Frais d’éducation et d’instruction de l’enfance ;

4° Intérêts payés au capital (5 %, payables en espèces).

Ce qui reste constitue le dividende (bénéfice net) attribué :

1° Au fonds de réserve (25 %) ;

2° Au capital et au travail (50 %, payables en espèces pour le capital et en parts d’intérêts (titres d’épargne) pour le travail) ;

3° Aux capacités (25 % ainsi répartis) en titres d’épargnes : a) à l’Administrateur-Gérant : 4 % ; b) au Conseil de gérance : 16 % ; c) au Conseil de Surveillance : 2 % ; e) en espèces, préparation et entretien aux écoles : 1 %.

Pour fixer par quelques chiffres l’importance des opérations financières que comportent les attributions aux facteurs essentiels de l’Association « du capital, du travail et du talent », relevons que, de 1880 à 1900, il a été distribué au travail, en titres d’épargnes, une somme totale de près de trente-neuf millions, qui se décompose ainsi :

Aux ouvriers et employés, et aux capacités, environ trente-trois millions ;

À l’assurance des pensions (part des Auxiliaires, etc.) environ six millions.

Dans cette même période, le montant total des salaires s’est élevé à plus de 166 millions. Le travail a donc reçu, tant en salaires (166 millions) qu’en bénéfices (39 millions) le total de 205 millions. Et le capital : en salaires (11 millions), en bénéfices (1 million), soit 12 millions. On voit que la part revenant au travail, en dehors de ses salaires, se trouve de beaucoup supérieure à la part totale du capital ; que, de plus, le capital étant représenté lui-même par les parts d’intérêts acquises par le travail, c’est, en réalité, au travail que tous les bénéfices ont été distribués. Nous verrons tout à l’heure le revers social de cette médaille séduisante… Pour l’instant, notons encore ces documents. Depuis la création du Familistère jusqu’au 30 juin 1925, le chiffre total net d’affaires industrielles, pour les deux usines, s’est élevé environ à 350 millions. Le montant net des affaires commerciales dans les économats a atteint la somme de 37 millions. Depuis la fondation, la Société a versé 9 millions en subvention aux diverses assurances mutuelles. Les frais d’éducation et d’instruction de l’enfance donnent un total de 1 million 1/2. Enfin, les remboursements de capital effectués sur les titres anciens se sont élevés à quelque 27 millions.

Voyons, rapidement, en quoi consiste le système de mutualité destiné à parer à la maladie (allocations et services médicaux), à la vieillesse (retraites), à l’invalidité (pensions), et à garantir aux habitants du Familistère le nécessaire à la subsistance. Il prévoit l’aide aux veuves et aux orphelins des associés et sociétaires. Il comprend deux branches-mères d’assurances ad hoc et un fonds de pharmacie. La caisse de secours en cas de maladie est alimentée ‒ pour le principal ‒ par les retenues sur les salaires des ouvriers. Celle des retraites garantit pour beaucoup des besoins posthumes. Car il faut avoir soixante ans révolus pour être admis à en bénéficier. Déjà, à partir de 1852, Godin avait introduit pour son personnel, par la constitution de caisses spéciales, un ensemble de garanties mutuelles complétées et fixées, en 1880, par les statuts de l’association. De 1880 à 1900, la caisse d’assurances contre la maladie a reçu au total près de 881.000 francs et versé 875.000 francs…

Notons enfin, en terminant, pour fixer complètement les ressources de l’association, qu’à sa mort ‒ en 1888 ‒ Godin lui a laissé par testament tout le disponible de sa fortune.

L’organisme directeur comprend :

1° L’Administrateur-gérant, nommé par l’Assemblée générale des associés et choisi parmi les membres du Conseil de gérance, sans limitation de durée de son mandat, sauf révocation ;

2° Un Conseil de gérance composé ‒ outre l’Administrateur-gérant ‒ de trois associés (élus pour un an par les associés), dix Directeurs ou chefs de services (membres de droit de par leur fonction) ;

3° Un Conseil de surveillance (trois membres élus par l’Assemblée générale).

Les travailleurs se divisent en quatre groupes :

Les auxiliaires ou arrivants. Ce groupe comprend, outre le « personnel flottant » de l’usine, ceux qui attendent le premier titre, évalué selon le rendement du demandeur ;

2° Les participants, c’est-à-dire admis à posséder un titre de participation, qui touchent une part sur les bénéfices ;

3° Les sociétaires, qui reçoivent une part et demie. Ils peuvent être élevés à ce degré après trois ans de « participation » ;

4° Les associés. Ils ont droit à deux parts et doivent exciper de cinq ans de présence dans les habitations du Familistère.