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priés à leur âge, en attendant le retour d’une température plus favorable ». (Le Fam. ill.)

C’est à l’école maternelle où les enfants séjournent de quatre à sept ans (ce n’est pas ici le lieu de reprendra la critique de l’enseignement prématuré) qu’entrent en jeu ‒ témoignant d’une sûre orientation vers le concret comme la base la plus vivante des connaissances à leur essor ‒ les adaptations frœbeliennes aux initiations arithmétiques de Mme  Marie Moret et la lecture tangible par les caractères mobiles de Mme  Dallet. Ils y apportent cet élément fouriériste de l’attrait dont on n’est pas près d’épuiser la richesse. C’est ici peut-être plus qu’en tout autre endroit qu’il convient de rendre à la compagne de Godin un hommage sans lequel toute étude sur le Familistère, si brève soit-elle, serait injuste. Avec des dispositions innées de pédagogue et un sens souvent perspicace de la nature des méthodes qui conviennent au jeune âge, la collaboratrice assidue de Godin (par ailleurs si compréhensive de son œuvre et si propre, par ses qualités, à lui apporter le réconfort de son affection et le secours de son intelligence) « s’était proposée, en introduisant de façon pratique dans les classes ces procédés d’enseignement ‒ qui s’étendent jusqu’aux notions essentielles des quatre première règles et des fractions, aux rudiments des travaux manuels ‒ de permettre à toute personne, même novice en la matière, d’enseigner expérimentalement aux enfants la véritable valeur des nombres et la raison d’être des diverses règles qui président aux opérations, toutes notions qui sont trop souvent confiées à la mémoire seule et appliquées par routine… Afin d’augmenter l’attrait de cet enseignement, le matériel mis à la disposition des élèves comprend des objets de formes diverses : buchettes pour la numération et l’addition, briquettes pour la soustraction, carrés pour la multiplication et la division, cubes entiers et divisés pour l’étude des fractions. Après la leçon, les mêmes éléments, combinés pour former des modèles de constructions, dessins, mosaïques, etc., servent à développer par le jeu l’adresse et le goût des futurs travailleurs ». (Emilie Dallet : In Memoriam.) À l’école maternelle, en un mot, on se préoccupe d’initier les enfants aux connaissances élémentaires ‒ calcul, lecture, écriture, orthographe ‒ « par l’enseignement attrayant et sans surmenage ou fatigue intellectuelle »…

Au sortir des classes enfantines, les cours obéissent de plus près, nous l’avons vu, aux procédés et aux programmes de la laïque d’État. Néanmoins, la classe reste mixte, « disposition qui offre cet avantage que : tous les élèves assistent aux mêmes exercices et grandissent côte à côte dans une habitude de fraternité qui fait de l’école ce qu’elle devrait être partout, une sorte de foyer domestique agrandi ». (Le Fam. ill.) Et malgré les restrictions qui, dans la pratique, en mitigent encore l’application (telle la séparation, dans l’école, des filles et des garçons) il est réconfortant de noter que la réunion dans les mêmes locaux n’est pas un simple pis-aller matériel, mais un effort ‒ timide sans doute, mais voulu ‒ de coéducation.

Des cours complémentaires prolongent l’instruction au-delà des années de la scolarité régulière. Les jeunes gens qu’y portent leurs aptitudes trouvent d’ordinaire auprès de l’Association une aide pécuniaire suffisante (prélevée sur le budget des capacités) pour étendre leurs études, notamment professionnelles, dans les grandes écoles de l’État. Une bibliothèque offre aux membres de l’Association ses trois mille volumes, des journaux et des revues littéraires et scientifiques…

Ce sujet n’étant pas spécifiquement lié à notre tâche d’aujourd’hui, nous ne nous appesantirons pas sur l’usine elle-même. Disons seulement qu’elle occupe

‒ dès 1900 ‒, avec sa filiale de Shaerbeek (Belgique) ‒ qui comporte, elle aussi, un Familistère, réduction de celui de Guise ‒ à la fabrication de quelque deux mille modèles, plus de seize cents ouvriers (4.000 modèles et 2.500 ouvriers en 1926). Par le secours d’inventions répétées et connexes, par la richesse et l’application de procédés perfectionnés qui vont du coulage à l’émaillage, elle porte jusqu’à l’art toute une gamme d’appareils de chauffage et de cuisine universellement réputés. Elle y ajoute maints articles de ménage et de bâtiment, des appareils sanitaires et médicaux, etc… La valeur marchande de ces produits atteint ‒ taux d’avant guerre ‒ quelque quatre millions et demi sur lesquels plus de deux millions sont versés en salaires. C’est avant tout sur cette florissante industrie qu’est assise la vie matérielle de l’association. Les autres ressources (revenus locatifs, suppléments commerciaux des économats, etc…) ne constituent, en somme, qu’un appoint.

En 1880, le fonds social est estimé à quatre millions et demi et, en 1926, à onze millions. La cession (et non le don, car Godin tient à ce que les futurs propriétaires de tout le patrimoine de l’Association le deviennent par l’acquisition du travail et non le doivent à quelque arbitraire philanthropie, d’ailleurs sans valeur démonstrative) se fait sous la réserve expresse « que les bénéfices annuels ne seront pas distribués en argent, mais remis aux ayants-droit sous forme de titres d’épargne. Chaque année, en fin d’exercice, les travailleurs vont donc toucher en titres d’épargne les bénéfices qui leur reviennent et le capital que ces titres représentent restera entre les mains du vendeur (le fondateur lui-même) pour le rembourser par annuités, de la cession de son établissement. Il est en outre stipulé que, dès que le capital primitif sera remboursé en totalité, ce système de distribution continuera à fonctionner comme par le passé. Les plus anciens titres d’épargne seront alors remboursés en espèces et remplacés par de nouveaux titres distribués aux nouveaux ayants-droit. Grâce à cette combinaison, chaque génération de travailleurs possède à son tour l’établissement dans la proportion des bénéfices qu’elle a pu réaliser par son activité et est appelée à jouir des équivalents de la richesse. La propriété de l’usine reste ainsi, d’une façon en quelque sorte automatique, entre les mains de ceux qui y sont employés ». (Le Fam. ill.) Dès 1888 ; les ouvriers possèdent, en titres, la valeur de près de deux millions. La propriété entière du Familistère passe, en 1902, aux mains de l’Association.

Nous allons étudier ‒ tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui : dans le cadre légal d’une « société en commandite simple » ‒ les divers rouages de l’organisation générale qui règle les rapports du capital et du travail. Nous verrons si, malgré la lettre observée des statuts, ils se trouvent en communion avec la conception même du fondateur… Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, qu’instruit par une observation de tous les instants et par les probantes expériences dont il a été question, Godin a traduit, dans les textes définitifs adoptés pour le pacte social, le souci de régulariser à la fois les enthousiasmes et les défaillances dont les incohérences rencontrées lui signalaient le danger et de parer aux risques futurs d’un état d’esprit qui menace l’existence même de l’œuvre… Quand on sait l’indifférence ou le misonéisme témoignés à l’égard de ses investigations les plus étroitement liées au sort futur de l’ouvrier ; quand on connaît en particulier le détachement significatif dont firent preuve les « unions » lors de l’élaboration du cadre des fonctions de la « Constitution des Travailleurs sociétaires » ; quand on sait que même la rédaction de ces statuts qui vont fixer leurs droits et leurs attributions n’ont pu éveiller l’intérêt des asso-