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vôtre juge et vous jeter à la figure tout le mal qu’il pense de vous.

La Famille cérébrale aura une cuisine commune. La ménagère qui passe tant d’heures à faire son marché, à préparer les repas, à laver la vaisselle, ressemble au petit artisan du Moyen Age. Pour diminuer sa peine on a inventé récemment des machines coûteuses à blanchir le linge, à laver la vaisselle ; mais, pour faire fonctionner ces machines, il faut encore beaucoup de travail. La grande industrie doit pénétrer dans la cuis me comme dans l’atelier. Les repas seront une occasion de réunion entre les locataires d’une même maison ; chacun parlera de ce qu’il a vu dans la journée ; le repas, au lieu de se passer morne et triste entre trois ou quatre personnes boudeuses, aura tous les attraits des banquets qui réunissent de temps à autre les membres d’une même association.

Les travaux ménagers sont devenus périmés. Les femmes du peuple ne veulent plus de la profession de bonne à tout faire, ce qui met les classes moyennes dans un grand embarras. Cette pénurie de bonnes se fait sentir beaucoup plus fortement encore aux États-Unis, où les bourgeois en viennent à se passer de meubles pour ne pas avoir à nettoyer.

De même que la cuisine, le ménage doit donc être industrialisé. La famille cérébrale, habitant une maison entière, pourra avoir un personnel assurant la propreté et qui serait pourvu des engins mécaniques nécessaires (nettoyage électrique). Ces nettoyeurs et nettoyeuses, traités en employés, avec la journée de six heures, n’auraient plus rien de commun avec ces demi-esclaves que sont les domestiques.

L’enfant est aujourd’hui la principale raison d’être du mariage. Lorsque la société se chargera de lui, on pourra supprimer cette formalité. Vu d’une civilisation plus haute, le cérémonial actuel du mariage avec la robe blanche, la fleur d’oranger symbolisant la virginité, apparaîtra suranné et ridicule.

L’acte sexuel étant considéré comme une fonction physiologique ni plus noble, ni plus honteuse qu’une autre, on ne s’occupera plus des relations amoureuses entre individus. La femme pourra avoir un amant sans déchoir, comme l’homme aujourd’hui a une maîtresse. Cela n’empêchera pas les liaisons durables, il pourra même y en avoir qui dureront toute la vie, et elles seront d’autant plus heureuses que rien ne les contraindra.

Mme  Kollontai qui, en Russie, s’est occupée d’élaborer un nouveau Code des mœurs, fait une obligation de l’acte sexuel. Ce n’est pas de ce côté qu’il faut aller, à mon avis ; le but de la vie est le bonheur et le bonheur est avant tout la liberté. C’est d’ailleurs la tendance des partis d’extrême-gauche d’exalter la sexualité, sans doute par réaction contre la religion qui en fait un péché.

L’acte sexuel reste un acte animal, dans une civilisation supérieure ; il n’a donc pas plus à être exalté que l’acte de manger ou de boire. Il participera de l’intimité et, tout en étant licite, il sera bon de le cacher sous un voile de pudeur.

La cellule sociale de l’avenir sera non la famille, mais l’individu. Le nom même de cellule est impropre, car il implique la dépendance. Plus l’humanité sera éclairée, plus elle aura le respect de la personnalité individuelle. Elle comprendra que l’individu n’est pas fait pour la société, mais au contraire la société pour le bonheur de l’individu. ‒ Doctoresse Pelletier.

FAMILLE (du latin familia). Ce mot sert à désigner, d’une façon générale, tout groupement de personnes ou de choses ayant une même origine, ou présentant, pour le moins, des caractères d’analogie, ou de solidarité,

en conformité avec ceux qui sont ordinairement le résultat d’une commune origine. Grammaticalement parlant, une famille de mots représente l’ensemble des mots possédant la même racine, tels les mots : société, sociétaire, social, sociologie, etc… Les animaux, les végétaux et les minéraux sont classés par familles, par les naturalistes, en raison des ressemblances qu’ils présentent avec tel ou tel type bien nettement déterminé. Le chat est, par exemple, l’animal type correspondant à la famille des félidés. Dans la société humaine, on dit communément de catégories sociales qui ont des intérêts ou des mœurs identiques, qu’elles constituent une grande famille. Ainsi l’ensemble des travailleurs manuels, sans distinction de sexe ni de nationalité, constitue « la grande famille ouvrière. ». Dans l’antiquité romaine et au Moyen-Age, étaient compris dans la famille tous les serviteurs dépendant d’un seul maître et vivant dans sa maison.

À notre époque, le mot famille est surtout usité dans le sens d’association de personnes unies par les liens de la parenté. La famille actuelle est ordinairement composée du père, de la mère, des enfants, des petits-enfants et des grands-parents, c’est-à-dire d’une lignée directe, à laquelle s’ajoutent, en second plan, les collatéraux : oncles, cousins, etc…

Dans les groupements à caractère primitif, comme chez les indigènes de la Polynésie, où le partage des moyens de subsistance offerts par la nature est de règle, la plupart de ces distinctions comptent peu. D’abord, en raison du régime de la polygamie, sinon de la promiscuité sexuelle, d’après lequel la progéniture peut être issue d’un même père et de mères diverses, ou réciproquement. Ensuite, parce que tout ce qui n’est point étroitement associé par le désir, en vue de la procréation, ou par l’instinct des géniteurs, en vue de la protection de l’enfance en bas-âge, tend à se confondre pour autrui avec le reste de la tribu. Il est probable que les premiers hommes ne vécurent point autrement, et que les hordes qui les réunissaient étaient, à l’exemple des troupeaux, de plus en plus rares, vivant à l’état sauvage, dans la brousse équatoriale, ou les prairies américaines.

L’importance donnée au mariage et à la parenté, même très éloignée, est en rapport étroit avec le développement de la propriété individuelle, laquelle comporte le partage des biens, à l’occasion des héritages, et reporte, s’il le faut, sur de vagues alliés, en l’absence de notoires consanguins, ce qui eût dû être le lot d’une directe et légitime descendance. Ne pouvant compter sur l’ensemble de la société pour assurer sa subsistance et celle de ses enfants, la femme est nécessairement portée à rechercher, dans le contrat légal avec un homme capable de pourvoir à son entretien, des garanties de sécurité que les liaisons de hasard ne lui confèrent pas. L’homme, de son côté, veille sur son épouse avec un soin d’autant plus jaloux que les enfants qu’elle pourrait avoir avec d’autres galants seraient pour son budget, pendant des années, une lourde charge. Quant aux parents, ils ne peuvent se désintéresser totalement de la conduite de leurs filles dès l’instant que, conservées vierges jusqu’aux épousailles, et bien casées, elles peuvent devenir pour eux une source de beaux revenus, ou que, jetant par-dessus les moulins leurs bonnets, elles risquent de rester au foyer paternel de coûteux laissés-pour compte, avec sur les bras des « bâtards » dont, à part l’Assistance, ou quelque brave cœur, personne ne voudrait.

La constitution de la famille actuelle n’est donc pas seulement une question de préjugés. Elle est liée à une situation économique, dont les exigences sont beaucoup trop graves pour que l’on puisse songer à modifier très sensiblement les mœurs familiales, tant que cette situa-