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l’exploitation et de la violence, croit ou feint de croire que la violence est éternelle, bienfaisante, réconfortante (voir Joseph de Maistre, de Bonald, Proudhon, Nietzsche, Georges Sorel, Bernhardi, Foch et autres hommes de guerre et de réaction plus ou moins illustres). Il cherche à éterniser le régime des classes antagonistes opposées, et, avec elles, le règne de la violence.

La guerre, avec son culte de la violence « bienfaisante, nationale et patriotique », a été la meilleure préparation fasciste. Quand nous disions et écrivions que la guerre mondiale impérialiste marquerait le retour à la barbarie du moyen-âge, avec son Faustrecht, son droit du plus fort, c’était l’exacte vérité, que le fascisme se charge de justifier à chaque pas.

Nous n’avons pas le droit de quitter le fascisme sans noter qu’en dehors de la guerre, c’est le socialisme réformiste qui lui a préparé le terrain favorable. En effet, en désarmant le prolétariat moralement, intellectuellement et politiquement par sa propagande des illusions démocratiques, il a livré les masses aux bandes fascistes qui savaient d’avance qu’elles ne rencontreraient aucune résistance effective.

Les réformistes confondent l’idéal, le but final socialiste avec les moyens, le point d’arrivée avec le point de départ. Oui, notre but final est l’harmonie, la solidarité, la paix définitive, la fraternité même.

Mais avons-nous le droit d’oublier que nous vivons dans une société basée sur la lutte des classes, armée jusqu’aux dents, et ne prêchant la non-résistance au mal qu’aux faibles, qu’aux opprimés et aux exploités ?

Désarmer le prolétariat, c’est armer les fascistes. Dire aux prolétaires qu’il suffit d’attendre le coup des majorités parlementaires, c’est livrer la classe ouvrière aux coups de main fascistes.

Même si le prolétariat a la majorité au Parlement, la classe capitaliste ne cèdera pas. Elle brisera, par la force, sa propre légalité parlementaire. Le fascisme deviendra mondial. Nous voyons chaque jour la tache noire fasciste s’élargir, s’étendre sur un grand nombre d’États. Avec les progrès du prolétariat, le fascisme grandit et se développe. Le dissimuler, c’est trahir la classe ouvrière ou être dupe de sa propre ignorance, de ses illusions « démocratiques ».

Autre trait du fascisme : il s’adresse de préférence aux anciens socialistes, en leur confiant la direction. Mussolini est un ancien militant socialiste. Millerand aussi. Et j’en passe. Le fascisme, c’est le rendez-vous de tous les crimes, de toutes les vilenies, de toutes les trahisons.

Tout en jetant bas son masque démocratique et légaliste, le fascisme a tout de même, pour entraîner les foules inconscientes, besoin de se draper d’un intérêt général. C’est l’ordre. C’est la patrie. Le coffre-fort se dissimule dans les plis du drapeau national et de l’ordre sacré.

On peut aisément démontrer que les autres forces contre-révolutionnaires, en soutenant et en préconisant ces mêmes devises : ordre et patrie, doivent fatalement, qu’elles le veuillent ou non, aboutir aux mêmes tactiques, aux mêmes actes que le fascisme, qui joue le rôle de précurseur et de modèle à tous les défenseurs quand même du régime capitaliste et impérialiste. La contre-révolution est une et indivisible. ‒ Charles Rappoport.

FASCISME. Le Fascisme Économique. — Avant de devenir une véritable doctrine de gouvernement, le fascisme, dont les origines et le processus politique sont exposés ici, a dû, nécessairement, se donner des bases économiques solides. Il est même permis de dire que, sans ces assises, le fascisme n’aurait jamais pu vivre.

Il est possible d’ailleurs que son évolution, à la fois

économique et politique, ne soit pas terminée dans le pays même où il a pris naissance : en Italie.

L’origine de ce mouvement, la qualité de ses aspirateurs, démontrent bien que le fascisme est d’ordre économique.

En effet, il est surtout l’œuvre des grands industriels italiens de Milan, de Turin, etc…

Ce sont eux qui, les premiers, perdirent confiance dans le pouvoir politique représenté à ce moment par le vieux libéral Giolitti, lors de la prise des usines en 1920.

S’ils s’en remirent à Mussolini, pour éviter le retour de pareils faits, ce fut surtout pour bouleverser de fond en comble l’ordre économique existant, à l’aide d’un système de « collaboration forcée », dont la caractéristique essentielle serait d’empêcher, à l’avenir, le heurt des antagonismes de classe.

Mussolini exécuta d’abord la partie politique et défensive de sa mission. La marche sur Rome, la restauration du pouvoir de l’État, son exercice avec le consentement du roi, furent, pour Mussolini, et ses inspirateurs, des tâches dont l’accomplissement immédiat s’imposait pour sauver le capitalisme menacé jusque dans ses fondements, mais toutes ces mesures n’étaient que purement défensives. Sous peine de disparaître dans un chaos indescriptible, Mussolini et les grands industriels devaient créer.

Ce n’est pas comme on le croit généralement, la violence et toutes les manifestations qu’elle comporte qui constituent le fascisme. Cette violence n’est que le moyen par lequel le gouvernement fasciste impose sa domination. Il semble même qu’en dehors de l’Italie, le fascisme n’existe réellement nulle part ailleurs.

L’Espagne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne, la Lituanie, gémissent sous la poigne brutale et sanglante de gouvernements réactionnaires, de dictateurs militaires et civils, mais on ne peut dire que, les régimes de ces pays soient fascistes. Ils n’ont, jusqu’à présent, de fasciste, que la violence.

L’Italie, seule, possède un régime fasciste parce que, dans ce pays, une nouvelle économie : celle qui caractérise vraiment le fascisme, est à la base du nouvel ordre social.

C’est là, en effet, que les industriels, en constituant « les faisceaux », eurent l’idée géniale de rassembler sur le plan de l’exploitation capitaliste toutes les forces actives qui concourent à la vie des Sociétés : la main-d’œuvre, la technique et la science. À ces forces, ils ajoutèrent ‒ c’est parfaitement logique, dans un tel régime ‒ le capital, c’est-à-dire : les patrons, les banquiers.

Les corporations fascistes, qui sont les piliers du régime, les cariatides du nouvel ordre de choses, permettent de réaliser, au besoin par la force, la collaboration de tous ces éléments sur le plan industriel à l’échelle locale, régionale (provinciale) et nationale.

Ces « corporations » n’ont rien de commun avec celles du Moyen-Âge, disparues en France vers 1786. ‒ Ce ne sont pas des forces périmées d’association que l’épreuve du temps condamnera sans appel.

Elles sont, au contraire, l’armature moderne et perfectionnée du capitalisme, dont elles ont mission de réaliser, sans encombre, l’évolution nécessaire.

Pourquoi ce système fasciste est-il si redoutable ?

1° Parce qu’il est, sur le plan capitaliste, une adaptation dangereuse du syndicalisme ouvrier ;

Parce qu’il réalise « concrètement » le système d’intérêt général des démocrates syndicaux ;

Parce qu’il dépasse, apparemment, par l’application pratique, et immédiate, le socialisme d’État à tendance réformiste.

Ce sont ces caractéristiques qui font la force du fascisme et le rendent redoutable.