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se dérober à un travail devenu sans doute improductif, les empereurs, considérant ce travail comme une fondation d’État obligatoire, retinrent par la force les membres dans leur collège, et le collège devint ainsi une sorte de prison.

« Les manufactures de l’État, réputées plus nécessaires encore que les industries de l’alimentation, étaient une véritable prison pour les hommes libres comme pour les esclaves qui y étaient attachés ; on les marquait d’un fer rouge comme le bétail.

« Au lieu d’être une personne se mouvant et se groupant librement dans le cadre d’une organisation économique qui le protégeât, l’individu n’était plus qu’une pièce d’un grand échafaudage vermoulu, laquelle ne pouvait pas se déplacer, ou qu’il fallait immédiatement remplacer, de crainte que l’ensemble du système se faussât et que le tout s’écroulât. »

Ce n’est pas la seule fois que nous voyons dans l’histoire la tyrannie s’emparer ainsi de l’organisation économique. La monarchie féodale en fit de même pour vaincre et asservir les Communes libres. De ces corporations indépendantes qui avaient fait leur force et leur grandeur, elle fit une institution royale et dès lors elles ne pouvaient plus être qu’une arme de la tyrannie. C’est ce que le même Levasseur nous fait remarquer :

« C’est par ignorance de l’histoire que des publicistes ont attribué à l’ancienne corporation le mérite d’avoir été la protectrice de l’ouvrier : faite par les maîtres, elle protégeait les maîtres, et, d’accord avec la police royale, elle tenait en général l’ouvrier dans une dépendance étroite. La corporation était une sorte de coalition tacite et permanente contre la hausse des salaires, quoiqu’elle n’eût pas la puissance d’empêcher complètement le jeu de l’offre et de la demande. »

Mussolini ne fait donc qu’essayer par ses corporations d’État, après destruction des associations libres, ce que d’autres tyrannies poursuivant le même but d’absolutisme avaient déjà fait. Ici encore rien de nouveau, n’en déplaise à certains renégats du syndicalisme italien qui prétendent le contraire.

En résumé, la doctrine fasciste est cléricale, centraliste et étatiste. Inutile de faire ressortir qu’en matière de politique étrangère, elle ne peut être qu’impérialiste, d’autant plus que le fascisme n’est qu’un nom d’occasion du nationalisme.

Une dernière remarque. Pour combattre notre antiétatisme, les socialistes ont souvent prétendu que nous n’étions que des alliés du libéralisme bourgeois visant aussi à la diminution du pouvoir de l’État. Laissons de côté tout ce qu’il y a d’inexact et même d’entièrement faux dans cette affirmation, et constatons que la pire forme de réaction, le fascisme, se prononce pour l’omnipotence de l’État. « Tout par et pour l’État, rien en dehors de l’État. » C’est pourquoi l’antifascisme ne saurait en somme signifier avant tout et surtout qu’antiétatisme. ‒ L. Bertoni.

FASCISME. Actuellement, le fascisme est la force contre-révolutionnaire la mieux organisée, la plus active. Le mot fascisme est italien, mais la chose est d’ordre international. Comme l’hypocrisie est l’hommage rendu par le vice à la vertu, le fascisme est l’aveu de l’extrême danger dans lequel se trouve le régime capitaliste sérieusement menacé par la révolution. C’est, avec le socialisme dit réformiste, la dernière cartouche de la bourgeoisie aux abois.

Quand la bourgeoisie se croit au bord de l’abîme, à la veille d’une victoire révolutionnaire, elle rejette sa propre légalité, détruit sa propre démocratie, envoie au diable toutes ses idéologies, toutes ses « grues métaphysiques » (liberté, droits de l’homme, respect des formes juridiques, etc.) : elle se met à tuer, à incendier,

à torturer, à détruire illégalement toutes les organisations légales. Elle congédie le Parlement, supprime ou enchaîne la presse, même sa propre presse démocratique. La dictature capitaliste ou bancaire se déshabille publiquement et se promène dans sa nudité affreuse. Le « mur d’argent » devient un mur d’airain contre lequel se brisent toutes les velléités réformistes et démocrates. En un mot, le fascisme, c’est le capitalisme menacé se défendant par tous les moyens légaux et illégaux. C’est le gendarme doublé d’un bandit. C’est la violence sans frein, sans limites.

Déjà, dans la Rome antique, lorsque les patriciens, les gros propriétaires étaient menacés de la révolte de la plèbe, la dictature s’installait en souveraine toute puissante pour mater la classe exploitée par des représailles impitoyables. Mais les dictateurs des temps anciens gardaient encore un reste de pudeur. Ils limitaient leur pouvoir extraordinaire par des délais (six mois, par exemple). La dictature fasciste ignore la pudeur : elle est illimitée dans le temps et dans l’espace.

Toute lutte des classes aboutit aux répressions, à la dictature, masquée ou ouverte. Thermidor, Bonaparte, les fusillades sous la Restauration et la Monarchie, les journées sanglantes de juin 1848, le massacre des Communards en 1871, les lois scélérates représentent, à des époques et des degrés différents, la dictature des classes dominantes qui se défendent par tous les moyens.

Mais ainsi que la dictature de la Rome antique, la dictature bourgeoise a eu jusqu’ici un certain respect des formes. Elle attendait, pour s’exercer, le moment d’un soulèvement populaire ouvert quand les barricades se dressèrent sur les places publiques. Elle se proclamait alors en état de défense légitime et se déclarait en état de siège, en état exceptionnel.

Le fascisme de nos jours, c’est la dictature préventive, le congé brutal donné à toute légalité régulière. C’est le gouvernement se cachant derrière une bande de bravi, d’assassins soudoyés. C’est l’alliance de la férocité organisée avec la lâcheté souterraine, sournoise. C’est le carabiniero paradant sur la place publique et faisant, à la dérobée, signe à l’assassin embusqué dans l’ombre pour assaillir le passant qui ne se doute de rien.

Déjà, le tsarisme, aux environs de la première révolution russe de 1905, inaugura ce système de défense clandestine, illégale, doublant et complétant le formidable appareil légal. La police secrète avait ses imprimeries, ses organisations et sa littérature illégales, ses agents provocateurs, ses sicaires. La majesté de l’État et de ses lois solennelles descend dans les cavernes de Cartouche, d’Ali Baba et s’abaisse jusqu’à la situation d’un malfaiteur vulgaire… Mussolini n’a rien inventé. Il a singé Nicolas Raspoutine qui se trouve hors d’état de lui réclamer ses droits d’auteur.

Même dans notre République très démocratique, très légaliste, au moment de la grève générale des cheminots, une théorie fasciste a été esquissée du haut de la tribune parlementaire. « J’irai jusqu’à l’illégalité » pour défendre l’ordre capitaliste, a dit le chef du gouvernement d’alors.

Une autre caractéristique du fascisme : il érige la violence en système. Il a le culte de la violence, de la violence en elle-même. C’est en cela que la violence réactionnaire se distingue, entre autres, de la violence révolutionnaire. Le révolutionnaire a le respect de la vie humaine et n’a recours à la violence que forcé par la violence du régime qu’il combat. Son idéal est la solidarité de tous, de tous les producteurs, la fin de toute iniquité, de toute exploitation. Le révolutionnaire ne saurait être un défaitiste du progrès humain. Il croit en un meilleur avenir de l’humanité, en un avenir sans classes, donc sans violence de classe.

Le fascisme, au contraire, défendant le régime de