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FAS
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En tirant la leçon, à leur manière, de 50 années d’expériences sociales ouvrières, les industriels italiens ‒ avec lesquels, en France, les Motte, les Martin-Mauny, les Valois et les Arthuys, sont en parfait accord ‒ ont su renforcer économiquement et politiquement leur puissance. Ils ont fait franchir une nouvelle étape au capitalisme. Ils ont su réaliser ce tour de force : assouplir un système en le concentrant ; renforcer l’exploitation en la masquant sous les traits de la collaboration : imposer comme réel un intérêt général inexistant ; diriger vers des buts de conservation du capitalisme des forces destinées par excellence à faire disparaître ce régime.

Et ce tour de force s’est accompli sous les yeux ébahis du prolétariat universel, sans que celui-ci en saisisse toute la signification, toutes les conséquences.

Il a été longuement préparé et exécuté de main de maîtres. La mise en tutelle de tous les États par la finance et la grande industrie internationale a précipité l’avènement du fascisme. Et on peut tenir pour certain que les industriels italiens avaient derrière eux, avec eux, tous les grands potentats bancaires et industriels, surtout ceux d’Angleterre et d’Amérique. La contribution financière de ces magnats à l’œuvre du fascisme est aussi évidente que le contrôle qu’ils exercent sur l’industrie italienne est réel. Mussolini n’est, en somme, que l’exécuteur des desseins du grand État-Major capitaliste mondial. L’Italie n’est que le lieu d’une expérience qu’on veut aussi décisive que possible avant de la généraliser.

Voilà, à mon point de vue, comment la classe ouvrière doit considérer le fascisme. C’est le système social nouveau du capitalisme, ayant à la fois de très fortes bases économiques et une expression étatique renforcée.

Ce mouvement est d’autant plus dangereux qu’il vient à son heure : au moment où, dissociées, les forces ouvrières bifurquent vers des buts différents ; au moment où, abandonnant définitivement leurs objectifs, de classe, une partie de ces forces apportent au capitalisme le concours sans lequel celui-ci ne pourrait franchir, dans les circonstances actuelles, le défilé difficile qu’est toujours le passage d’un stade d’évolution à un autre stade ; au moment, enfin, où la faillite de tous les partis politiques, dans tous les pays, s’avère irrémédiable aux yeux de ceux qui comprennent la signification, la portée des événements économiques, politiques et financiers qui se déroulent à travers le monde.

Il n’est donc pas surprenant que le fascisme, habilement présenté aux diverses couches populaires, réussisse à entraîner vers lui toutes les dupes des partis, tous les trompés, tous les désabusés, tous les partisans des doctrines de force que la guerre a remises au premier plan. Ceci pour le plan politique.

Économiquement, les corporations fascistes, en réunissant dans un même organisme toutes les forces d’une même industrie : patrons, techniciens, savants et ouvriers, réalisent la gageure de faire croire à l’existence d’un intérêt général.

Et cette conception n’est-elle pas, en fait, pour le compte du Capitalisme, l’affirmation de la thèse soutenue par la Fédération Syndicale d’Amsterdam et ses plus brillants représentants sur le plan ouvrier.

Il n’y a qu’une seule différence. C’est celle-ci : Jouhaux et ses amis prétendent réaliser l’intérêt général, en utilisant le capitalisme, au profit des travailleurs, tandis que Mussolini le réalise au profit du capitalisme en utilisant le prolétariat.

Des deux, un seul est logique : Mussolini. C’est là, en grande partie, la force essentielle du fascisme. Non seulement, il institue à son profit un régime d’intérêt général, mais encore il s’assure, pour cette tâche, le

concours indispensable d’une partie de la classe ouvrière.

Qu’on ne croie pas que le fascisme supprime les classes, qu’il les nivelle. Non, il les superpose, mais cela lui permet de faire disparaître les antagonismes brutaux et permanents du Capital et du Travail, au nom de leur intérêt corporatif et général.

De cette façon, il supprime à la fois : la grève, arme ouvrière, et le lock-out, arme patronale, par l’arbitrage obligatoire, arme à la fois gouvernementale et patronale, puisque l’État n’est que l’expression collective de la classe dominante.

Si la « corporation fasciste » réalise une sorte de solidarité d’intérêt, nul ne peut prétendre que cette solidarité implique l’égalité sociale des « associés ».

Voyons, en effet, quelles sont les caractéristiques essentielles de ces corporations :

Au sommet : une direction technique assumée par le patron, l’industriel et, invisible mais présente, unie autre direction, occulte, morale, suprême, la vraie direction : les grandes banques ;

Aux échelons : Les Savants, dont les travaux sont dirigés, orientés par la direction, par la force qui paye ; les techniciens, qui sont chargés d’appliquer les découvertes des savants sur le plan industriel ; les agents de maîtrise, qui ont pour mission de faire exécuter, selon les règles de la corporation, dans « l’intérêt général » de celle-ci, les travaux élaborés, mis au point par le corps des techniciens. ‒ Savants, techniciens, agents de maîtrise, reçoivent, à des degrés divers, des « délégations » qui font d’eux les représentants de la direction. Ils n’en sont pas moins contrôlés constamment par celle ci ;

Au bas de l’échelle : les ouvriers, les employés, les manœuvres, c’est-à-dire les exécutants, qui sont placés sous la direction des agents de maîtrise, qui obéissent aux instructions du « Bureau » et n’ont à faire preuve d’aucune initiative. Ils ne jouissent, en fait, d’aucun droit.

En somme, on peut dire que la Corporation est placée sous l’autorité d’un seul maître, en deux personnes : l’industriel et le financier, le second commandant au premier. Le reste constitue une armée de parias, plus ou moins bien rétribués et considérés, dont les efforts conjugués n’ont qu’un but : enrichir le premier en asseyant ses privilèges, en les perpétuant.

C’est ce que le fascisme appelle la « collaboration des classes » dans un but « d’intérêt général ».

Les salaires, la durée du travail, les conditions d’exécution de celui-ci, sont fixés localement, par industrie, par la Corporation intéressée, c’est-à-dire, en réalité, par le patronat qui prend grand soin de faire avaliser ses propositions par les « représentants » des autres « associés », habilement choisis par lui, avant de les faire légaliser par le « podestat », qui est le magistrat politique, le représentant direct du pouvoir d’État.

Ce système est encore incomplet, mais, d’ores et déjà, il constitue la base solide qui supporte tout l’édifice fasciste. Lorsque Mussolini, avec le temps, aura réussi à se débarrasser du Parlement élu et du Sénat, désigné par le roi ‒ et ce ne sera pas long ‒ il constituera des parlements provinciaux et un parlement national, où siégeront les représentants qualifiés des Corporations, c’est-à-dire des « grands intérêts » du pays.

Ces assemblées locales, provinciales et nationales, constamment placées sous le contrôle du pouvoir central, formeront l’appareil politique du pays.

Le fascisme sera alors réalisé : politiquement et économiquement.

Il lui restera à accomplir la tâche pour laquelle il fut présenté : Tracer les nouvelles lois économiques du