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La production sociale totale doit donc laisser deux parts aux éléments improductifs qui sont :

1o) La rente foncière que perçoivent les propriétaires du sol et du sous-sol ;

2o) L’intérêt sur le capital, que perçoivent les détenteurs du capital et seulement une part reste à la disposition du travail productif. Cette troisième part (revenu par le travail) de la production totale ne se partage pas plus équitablement entre les travailleurs (producteurs), car le partage est faussé par le système même qui a créé le « monopole » de l’éducation, la douane et tant d’autres restrictions artificielles à la libre concurrence.

Le droit arbitraire de disposer des richesses du sol et du sous-sol, enfin des richesses naturelles et du capital (prélèvement d’intérêt), donne aux propriétaires de ces deux facteurs économico-sociales le pouvoir sur tout ce qui dépend de l’économie à base de division du travail. Le travail peut se faire seulement quand le sol (et sous-sol) et le capital le permettent. Cette permission est la réalisation du revenu sans travail (rente foncière et intérêt sur capital), mais aux dépens de revenu par le travail. Rien n’échappe, tout doit payer son tribut, l’État lui-même, le consommateur, le producteur, enfin tout. Ce que représentent les tributs réclamés par le rentier et le capitaliste est mis en lumière par ces quelques considérations et exemples : le sol et sous-sol avec ses richesses naturelles appartiennent à tous les hommes sans exception, car ils ne sont pas créés par eux et ainsi leur bien propre ; mais ils leur sont laissés naturellement et « pour rien » de par la Nature (je ne veux pas discuter ici la valeur du terme « Nature », sans importance pour la question). Le prix que l’homme paye pour le sol ou le sous-sol à un prétendu propriétaire représente la « rente foncière capitalisée », de même aussi le loyer, etc., pour l’exploitation du sol et des matières premières. Le « prix » d’une propriété se base sur le calcul suivant :

Exemple : Revenu annuel sans travail (rente foncière) : 15.000 francs. Taux d’intérêt : 5 %. Prix du terrain : 15.000 x 100 : 5=300.000 francs.

Ou inversement, lorsqu’il faut payer une propriété 300.000 francs le successeur prendra le taux d’intérêt du jour, dans ce cas 5 %, et saura que le terrain, etc., doit rapporter 15.000 francs de revenu sans travail, en dehors du travail productif qu’il y rendra ou fera rendre. La propriété lui doit représenter une sorte de banque, où, son capital de 300.000 francs déposé, lui sont garantis les mêmes 15.000 francs, augmentés de 5 %. De là aussi l’interchangeabilité du sol et du capital. Les banques, par exemple, prennent le plus volontiers des sûretés foncières.

Le capitaliste prête son argent (capital-monnaie) à l’économie sociale quand il rapporte, c’est-à-dire quand le taux d’intérêt du jour (qui sera toujours aussi haut que le marché le permet) lui est garanti (y compris les dividendes ou l’intérêt hypothécaire), sans cela il se retire et les travaux (la production) ne se font pas.

Un autre exemple probant est fourni par les loyers des demeures qui se composent généralement de 4/5 de rente foncière et d’Intérêt sur capital et 1/5 seulement est affecté par l’usage et suffirait à la restitution des salaires et matériaux. À noter que, la restitution faite, elle sera liquidée et ne resteront plus que les frais occasionnés par la détérioration naturelle ; mais la rente foncière et l’intérêt sur capital continuent leur vie parasitaire.

Le fait le plus probant vient encore : Prenez n’importe quel pays en exemple et voyez quelle est l’évaluation de la fortune nationale. Quelle soit par exemple de 500.000 millions de francs « or », si vous préférez. Et maintenant ? C’est facile, au taux d’intérêt de 5 % (le soi-disant taux normal, puisque assez constant depuis des siècles) nous trouvons qu’annuellement les travailleurs, sans exception, doivent laisser de leur revenu du travail

25.000 millions « or » en forme de rente foncière et d’intérêt sur capital, c’est-à-dire cette somme formidable est contenue dans les prix des marchandises et directement payée par les consommateurs, dont font partie en nombre infime et avec une consommation minime (quoique relativement très grande) les classes des exploiteurs. Ce n’est pas tout : dans l’espace de tous les 20 à 25 ans, tous les ouvriers (manuels et de tête) doivent produire à nouveau aux capitalistes et rentiers fonciers la fortune nationale entière, c’est-à-dire : fabriques, maisons, chemins de fer, vaisseaux, mines, enfin tout. Encore si ce n’était que cela ! Ces sommes formidables de revenu sans travail ne sont rien contre l’autre côté du mal que font le rentiérisme et le capitalisme à l’économie sociale tout entière. Car pour qu’ils puissent se maintenir ils ont besoin d’une armée constante de sans-travail (chômeurs) qui maintiennent, par leur seule présence, les salaires au niveau voulu ; ils ont besoin que l’économie sociale côtoie toujours les crises économiques ou qu’elle s’y engouffre. Si l’on compte un peu ce que peut être la quantité d’objets utilisables dont la production a été empêchée, la somme de bien-être perdue par les crises économiques chroniques ou aiguës, les frais énormes (inclus dans les prix des marchandises) occasionnés par les difficultés faites à l’échange des produits, alors nous aurons une idée des méfaits du capitalisme-rentiérisme.

Jamais encore il n’y a eu « surproduction » ! Ceux qui prétendent cela sont ou bien des ignorants ou des « intéressés » ! Quand le dernier des hommes a-t-il pu satisfaire tous ses besoins (seulement matériels) et même davantage ? Alors ?…

Le progrès vers la lumière, vers le bien-être, vers la liberté et l’âge noir de l’homme primitif, l’ignorance et la misère, balancent autour de l’état économique de l’humanité.

La production sans frein, toujours croissante, c’est la mort du capitalisme. — Wenn alle Raeder laufen, muss das Kapital ersaufen ! — Quand toutes les roues marcheront, les capitalistes (le capitalisme) se noieront !

C’est au génial Silvio Gesell que nous devons enfin la connaissance parfaite des causes de l’exploitation. Nous savons maintenant qu’elle a sa source dans le capital primitif (capital par excellence) et dans la propriété privée du sol et du sous-sol. Mais Silvio Gesell nous a donné un cadeau encore plus précieux, le plus précieux que l’humanité puisse désirer : ce sont les moyens pour rendre impossible à jamais l’exploitation et pour donner un nouvel essor à la production humaine, voire à son ascension vers ses plus chers idéaux. Qu’est-ce que c’est qu’une invention, si le capital et le sol refusent leur concours ? Que sont les aspirations humaines dans le domaine intellectuel, moral ou matériel, si capitalisme et rentiérisme n’y voient leur intérêt ou qu’ils y risquent la peau ?

Les théories F.F.F. de Silvio Gesell peuvent se résumer à peu près en ces deux grandes lignes :

1o) Abolition de l’exploitation par intérêt sur capital et les profits de hausse et de baisse, en introduisant la monnaie franche, liée à une cotisation stable. Cette dernière travaillera de concert avec une Société Internationale de Change (cotisation). — (I.V.A. ou International Valuta Association) ;

2o) Abolition de l’exploitation par la rente foncière privée en déchirant les titres de propriété arbitraire sur le sol, le sous-sol et leurs richesses naturelles (non créées par l’homme), c’est-à-dire en faisant la terre franche.

Avec ces deux lignes vont de pair le commerce libre et la dissolution de l’État (comme résultantes) et, comme conclusion : expansion et appréciation de l’individualité ; liberté du domicile (aller et venir franc), concurrence libre sur des bases égales pour tous : « À chacun selon ses efforts ! »

La Monnaie Franche. — Le problème de la monnaie et