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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/229

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sa solution. — L’économie primitive (producteur et consommateur en la même personne) ne permettait guère de satisfaire des désirs outre les besoins vitaux primordiaux. En faisant lentement place à l’économie à base d’échange, le travail et les produits devenaient un objet de commerce. Tant que l’écoulement des produits devait s’opérer directement par échange entre consommateur et producteur à la fois, il y avait encore énormément de frein à l’évolution humaine. L’usage d’un moyen d’échange conventionnel a donné du coup un essor vigoureux au développement humain et a permis d’accomplir ce que l’économie primitive ne pouvait faire et ce que l’échange direct ne faisait encore possible qu’en partie infime.

Point de culture, aucun progrès humain sans division du travail : point de division du travail sans monnaie (moyen d’échange !), et j’ajoute : plus ce moyen d’échange reste neutre, c’est-à-dire limité dans ses fonctions désignées, davantage aussi s’assurera le bien-être du producteur.

Nous nous servons actuellement de la monnaie métallique et en papier que l’État déclare comme tel et qu’il protège contre les falsifications. C’est une erreur de croire que la monnaie soit « couverte » ou « garantie » en or. Cette prétendue « sûreté métallique » est un vaste bluff. L’unique sûreté de la monnaie est et reste sur le marché des produits, où l’on peut échanger (acheter) ce numéraire contre des marchandises (objets utilisables). Si la sûreté mercantile (des produits) vient à faire défaut, la meilleure des cotisations en or ne pourra nous servir de quelque chose.

Des équivalents de monnaie (chèque, traite, etc.) se basent eux-mêmes sur la monnaie et n’ont pas du tout les avantages d’une circulation directe de monnaie.

Ce qui intéressera le travailleur quant à son budget, ce sera le prix moyen des marchandises (nombre, indice ou index), duquel il peut partir pour savoir si son revenu du travail s’est amélioré ou non.

En temps de hausse la production va en s’intensifiant, les prix montent et les fabricants et commerçants ont confiance et tout le monde trouve un gagne-pain. Il s’agit ici d’une hausse normale, qu’il ne faut pas confondre avec l’inflation monétaire (hausse de circulation ou de quantité monétaire) telle qu’elle a passé et passe encore sur les États européens. En temps de hausse, la monnaie circule plus vite, les banques ne détiennent que la quantité de monnaie indispensable ; tout le monde veut acheter, espérant de vendre mieux — on spécule ; les chômeurs deviennent moins nombreux, car la production est en mouvement ascendant.

Par contre, en temps de baisse il y a chute des prix ; les banques regorgent de monnaie ; les crédits sont refusés et révoqués (méfiance commerciale) ; la monnaie circule plus lentement ; on n’achète plus (ergo on ne produit plus), car demain déjà on peut réaliser meilleur marché ; le chômage s’accentue, c’est la misère qui s’accroît.

Il y a hausse quand la quantité de monnaie en circulation (monnaie métal ou monnaie papier reste, en principe, indifférent) est augmentée. Effet : prix moyen croissant. Les découvertes de mines d’or le prouvent. L’inflation, par exemple le temps des assignats ou celui d’après-guerre, où les machines à imprimer les billets de banque travaillaient jour et nuit. En Allemagne (le pays de l’inflation monétaire par excellence) où, depuis 1914 à 1923, l’office monétaire jetait de plus en plus fiévreusement de la monnaie papier en circulation, la quantité monétaire en juillet 1914 était d’environ 5.760 millions de marks, pour atteindre, fin 1923, environ 400 quadrillions (environ 70.000 millions de fois plus), pendant que les prix des marchandises montaient graduellement à environ 1 billion et demi de fois. L’accroissement des prix, plus considérable en pour 100 que

celui de la quantité monétaire, était dû à la diminution graduelle de la production et avant tout à la vitesse de circulation monétaire qui allait dans l’impossible.

En diminuant la quantité de monnaie disponible d’un pays, l’index diminue également ; il y a baisse. Le passé en fournit des preuves sérieuses. Le moyen-âge et le manque de mines d’argent (l’argent était alors la matière monétaire) sont inséparables. Les falsifications monétaires (Schinderlinge : pièces dont le poids en argent était moindre) des seigneurs apportèrent un relèvement ; l’époque glaciale dans la culture humaine allait se terminer. La période de 1907–1908 était caractérisée par une formidable crise économique mondiale, dont le fomenteur était Pierpont Morgan. Il avait retenu d’énormes quantités d’or monéifié et déclenché une chute de prix inquiétante. Qui de nos sociologues s’est douté, en dehors des physiocrates, que la crise économique mondiale actuelle (elle date surtout de 1920) est due à ce que l’Entente et des pays neutres ont retiré une partie de l’argent dépensé en cours de guerre ? Et la politique de déflation, responsable de stabilisation ? Et les États-Unis de l’Amérique ? Le dollar-or a subi une dépréciation notable, car actuellement le nombre indice vacille autour de 150 % contre 100 % d’avant-guerre. En Allemagne, il est environ 135. Ces deux chiffres se réfèrent à l’index du commerce général, car pour l’Allemagne l’index de cherté de vie est même à 145. Consultons les statistiques des pays et nous saurons qu’elle est la baisse du bien-être en pour % moyens depuis la guerre… Mais que veut dire tout cela ?… Qu’en Amérique il faut donner en moyenne 160 dollars de ce qui coûtait avant la guerre environ 100 dollars, et ainsi de suite. Les oscillations autour du nombre indice sont la mare aux spéculants et agioteurs. Cependant ce n’est aucunement améliorer la chose que de punir ces derniers ; il suffit de changer dûment la monnaie et ils disparaîtront tout seuls, sans peine ni rien. La moindre augmentation, même en % de l’index apporte des profits fabuleux à la haute finance (voyez la fortune nationale) et des pertes égales aux travailleurs, dont le salaire ne suit pas, et de même aux créditeurs, dont la valeur intrinsèque de leur monnaie prêtée diminue. L’inflation est l’orgie des rapaces de la haute finance.

Le prix de la marchandise dépend de la quantité de monnaie disponible (effectivement en circulation — la monnaie dans les coffres-forts ou bas de laine, ou l’or en bijoux, sont morts) et de la vitesse de circulation. En opérant savamment avec les deux facteurs « quantité » et « vitesse de circulation », on tient la clef des crises. Les deux facteurs peuvent opérer seuls ou en conjonction.

De ce qui précède on sait que la matière (métal ou papier), dont est faite la monnaie, n’est pas l’essentiel, au contraire, c’est uniquement l’administration scientifique de la monnaie. Cependant, pour la fabrication de la monnaie, il est préférable de se servir du papier, car le métal se prête plus facilement à des usages étrangers (donc dangereux) qu’à la vraie mission du numéraire, pendant que le papier imprimé devient comme tel sans valeur. Les accapareurs de la monnaie (or, argent) faussent le marché, où marchandises et monnaie doivent s’échanger ; ils sont directement criminels pour l’économie sociale.

La monnaie franche est enfin la liquidation radicale avec le système monétaire actuel, cause de toutes les misères. La monnaie franche est administrée de façon à maintenir toujours le nombre indice au même niveau. La façon pour ce faire a été indiquée déjà plus haut : réglementation scientifique de la quantité et de la vitesse de circulation monétaire.

La monnaie franche est un pur moyen d’échange, donc aucun « objet de valeur », aucun « capital ». A cet effet elle a subi une dépréciation continuelle sur la