tectrices — au lourd repos des humbles… Au xiie siècle, le culte des images est de nouveau controversé. Les cathares (sectes puritaines qui périront avec les Albigeois) en condamnent l’hérésie, l’écartent de leurs mœurs comme impur. Au xvie siècle, les protestants, à leur tour, le comprennent dans les coupes sombres du révisionnisme. La doctrine catholique, cependant, opportuniste et d’une psychologie plus avisée que le schisme, en maintient l’exercice. En 1545, le concile de Trente, disputant d’une part le terrain au protestantisme, précisant d’autre part les directives de la foi noyées dans le confusionnisme des tendances, résume en un décret l’attitude du traditionalisme chrétien : « Il faut garder et retenir, surtout dans les temples, les images de Jésus-Christ, de la Vierge et des autres saints. Il faut, en même temps, leur rendre l’honneur et la vénération qui leur sont dus, non que l’on croie qu’il y a en elles quelque divinité ou vertu, ou qu’il faut leur demander quelque chose ou mettre sa confiance en elles, comme faisaient les païens pour leurs idoles, mais parce que l’honneur que l’on rend aux images se rapporte aux origines qu’elles représentent ». Ce point de vue — tant dans l’Église officielle romaine que dans la branche orthodoxe — n’a plus, depuis, été sérieusement contesté. Il a cessé d’être en butte aux assauts du pouvoir, aux entreprises agressives des partis et des chapelles. Et l’iconoclastie n’eut guère, dès lors, au moins dans les actes, que des adeptes isolés… Mais, quoique incorporé au rituel et habilement délimité, vaines sont, quant au caractère du culte des images, les subtilités de la théologie. Les adorations hystériques des Cordicoles, la mise en exploitation des apparitions aux images persistantes, les miracles des statues animées et saignantes, l’enrichissement quotidien du musée mondial des fétiches sacrés (par tonnes les fragments de la vraie croix, des pyramides d’ossements authentiques) tenus pour doués de propriétés salvatrices, attestent la survivance, en pleine société moderne, d’un culte total d’essence singulièrement idolâtre…
Les laïcs, après quelques expurgations toutes scientifiques, n’ont pas manqué de canaliser vers leurs glorifications des préjugés et des coutumes si fortement enracinés. Ils ont immortalisé dans le marbre leurs personnages préférés, nimbés d’héroïsme ou de vertu, entouré leur culte de pratiques commémoratives. Et leurs portraits tapissent les écoles et les édifices publics. Ils ont conservé les emblèmes et tout le simulacre des adorations. Les drapeaux sont demeurés (de style et d’hommages) « l’image vivante des patries ». Les chefs d’État, les généraux constellés d’amulettes paradent en demi-dieux sur le front des foules, exigent la remise des existences sur les autels de la nation. Les Panthéons groupent les cendres cataloguées des morts illustres. Sous les Arcs où se fige le Triomphe de la bestialité, ils ont, magiciens funéraires qui savent que les vivants oublient sur les morts le salut de leur propre sort, assemblé quelques os de martyr, image anonyme du sacrifice. Au pays des icônes, voilà saint Lénine truqué, momifié, offert en vitrine aux regards des moujiks aberrés. Et pèlerins et rois mages s’acheminent, en théorie inlassée, vers l’étoile du premier ciel bolcheviste… Le culte des images — avec son succédané le culte des grands hommes — erre aux portes de l’anarchie, pousse des incursions dans la cité, hisse des pavillons, veut dresser des statues. Il reprend les voies classiques des religions et des doctrines. Il esquisse des agglomérats où s’abdique l’unique, sonne l’appel aux voies endormies des troupeaux, songe à galvaniser des masses entraînées pour de nouveaux règnes grégaires…
Les illuminés des religions lointaines — celles du temps n’ont plus que des habiles — prompts à bousculer les colonnes des temples, à mettre en pièces les statues, à fouler aux pieds les images, s’imaginent ouvrir ainsi la voie aux « justes croyances », préparer l’avènement
ICONOCLASTE. Vers le premier quart du viiie siècle, une secte religieuse se fonda qui avait pour objet de briser toutes les images des saints et d’interdire le culte qu’on leur rendait. Cette secte des « Iconoclastes » fut d’abord approuvée par le concile de Constantinople, en 754.
Approuver ses actes, c’était rendre en grande partie impossible la tâche de l’Eglise romaine qui a toute une armée de saints plus ou moins miraculeux à proposer à la vénération des fidèles. Aussi, le concile de Nicée (787) et ceux qui suivirent, condamnèrent-ils impitoyablement la secte qui disparut au commencement du siècle suivant. Plus tard, les Albigeois, les Hussistes, les Vaudois et les Calvinistes reprirent les pratiques iconoclastes car ils ne reconnaissaient pas la « sainteté » des apôtres.
Etendant le sens du mot, lui donnant une signification plus complète, les anarchistes se disent iconoclastes. Le compagnon Percheron, dans une chanson La Ronde des briseurs d’images, avait expliqué d’une manière très exacte le pourquoi d’une telle affirmation. Voulant briser non seulement les images des saints, mais celles de tous les faux dieux, de toutes les idoles, de tous les préjugés ; ne s’inclinant devant aucune autorité morale ou matérielle, les anarchistes veulent démolir de fond en comble la vieille société qui nous régit. C’est pourquoi, avec tout leur irrespect pour les choses établies, ils s’attachent à briser toutes les images (État, religion, politique, propriété, patronat, patrie, etc.) avec lesquelles on leurre encore le peuple aujourd’hui, et qui font durer son esclavage.
Reconnaissant la haute portée morale, la grande valeur bienfaisante de certaines vies d’hommes dévoués à la Science, à la Philosophie, à la Révolution, les anarchistes citent quelquefois en exemple et comme enseignement les œuvres de ces précurseurs. Mais, ne voulant voir aucune prédestination en n’importe quel homme, ils se dressent contre toute tentative, d’où qu’elle émane, de faire de certains des personnages